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Le Poche fête ses 75 ans en dansant - et en échangeant des idées

Publié le 20.04.2023

75 ans cela se fête. Lancé dans un (vaste) appartement de la vieille ville, Le Poche avait débuté sa carrière théâtrale en 1948 avec la pièce d’un jeune auteur, Jean-Paul Sartre, et sa pièce La putain respectueuse - dont les représentations ont également été prises d’assaut en ce printemps 2023.

Donc ce sera la fête au POCHE/GVE les 28, 29 et 30 avril, avec au programme des forums et des débats autour de l’avenir du théâtre (voir programme ci-dessous), du dispositif de troupe liée sur la durée à un théâtre, sur les politiques que peuvent mener les institutions en matière de durablilité.



La Fête? Un grand bal musette sur des airs de ces 75 dernières années, une vente aux enchères d’accessoires et de costumes du théâtre avec Rébecca Balestra, comédienne, poétesse, et, ce jour-là, commissaire priseur-e avec un marteau. Enfin, les présentations de saison du Poche par Mathieu Bertholet ont d’indéniables qualités de divertissement rythmé, celle de la saison 23/24 qui clôturera les festivités, ne devrait pas déroger.



En entretien, Mathieu Bertholet donne plein d’autres bonnes raisons de participer au 75 ans du POCHE/GVE.




En marge de propositions festives, vous proposez dans le cadre des 75 ans du Poche des rencontres autour de thèmes que vous évoquez souvent en public: votre dispositif de troupe de comédien-ne-s engagé-e-s à l’année - L’Ensemble. Et la durabilité qu’il en découle.

Mathieu Bertholet: Oui. Si vous prenez l’offre théâtrale en général dans la région, vous voyez tout de suite que dans les théâtres d’accueil, la part des compagnies locales est moindre. Et si vous prenez les théâtres de création, les compagnies préparent un spectacle pour des durées d’exploitation de plus en plus courtes. Il y a heureusement des exceptions, mais globalement les créations sont très peu jouées. Les comédien-ne-s sont content-e-s s’il y en a dix. Certain-e-s en ont bien davantage, mais la majorité, en dehors de ces petits engagements, sont toujours à la recherche de projets, passent constamment du chaud au froid, et vivent donc dans le stress et une forme de précarité.



Avec l’Ensemble, je retire un groupe de comédien-ne-s de cette situation de précarité pendant une saison. Je sais qu’on me reproche en procédant ainsi de ne pas engager davantage d’artistes sur des courtes périodes. Mais j’ai de la peine à admettre comme solution durable le fait d’avoir davantage de gens qui restent précaires pendant longtemps.



Votre solution...

L’objectif est de dé-précariser le plus d’artistes possibles pendant le plus de temps possible. Depuis que j’en ai pris la direction, Le Poche développe une solution à sa - petite - échelle. Dans un monde du théâtre où tout le monde est d’accord sur le fait que le système actuel ne fonctionne pas, notre modèle a le mérite d’exister.

D’où votre programme de conférences et de discussions?


Oui. Je ne prétends pas détenir la vérité. Mais peut-être que si on se mettait tous autour d’une table pour discuter, nous pourrions commencer à dégager des solutions. J’aimerais que le vendredi nous réfléchissions collectivement à d’autres possibilités.



Il y a des théâtres allemands qui fonctionnent avec des troupes. Plus près de nous il y a des troupes de danse qui existent, conventionnées par les autorités - à commencer par le Ballet du Grand Théâtre. Cette dé-précarisation pérenne existe aussi dans les orchestres classiques et même contemporains, avec Contrechamps.

Nous offrons une occasion à tous de réfléchir un peu out of the box, il serait dommage de ne pas s’en saisir!

Un mot sur quelques intervenants?

Joël Aguet, historien du théâtre reconnu, cumule distance et perspective sur tout le théâtre romand, il a sans doute une vision de comment on a fait, et de comment on fait du théâtre ici aujourd’hui. Le Neumarkt ou encore Aude Martino de la compagnie La Ribot feront part de leurs expériences d’ensemble.

Et lors de la table ronde qui suivra se joindront à la discussion Delphine Rosay, chargée de production et d’administration de la compagnie L’Alakran d’Oscar Gómez Mata, Elia Leveillé, représentante de l’Association TIGRE ou encore Julie Paucker, directrice des rencontres du théâtre suisse ainsi que toute personne présente qui se sentira concernée.





Et vous, Mathieu Bertholet, quel est votre perspective historique? Suit-elle une forme linéaire ou cyclique?


Avec vingt années d’expérience, je n’ai fait qu’un petit tour et me sens mal placé pour affirmer. Mais disons que je ressens un mouvement réactionnaire, qui se referme localement, qui s’intéresse trop aux Inrockuptibles, à Télérama, à ce qui se passe à Paris et à Avignon – il n’y a rien de plus provincial que de trouver super ce qui se fait au loin!

Cela se vérifie avec de moindres prises de risques avec des artistes d’ici. Avant de prendre la direction du Poche, j’ai eu la chance de pouvoir faire des immenses spectacles dans de grandes institutions, ce serait très difficile aujourd’hui.



Et il devient très très difficile de mettre dix acteur-rice-s sur un plateau si vous n’êtes pas une star, et reconnu à Paris. Le Théâtre de Carouge le fait régulièrement mais c’est le dernier et cela m’attriste.

Vous mentionnez Carouge, qui privilégie le répertoire, alors que vous mettez l’accent sur les nouveaux-elles auteur-e-s – même si cette saison du 75e (et la précédente) ont vu revenir des textes du XXe siècle dans votre programmation. Quel premier bilan tirez-vous de cette saison 22-23 qui se termine à la fin du mois avec quelques représentations de La Putain respectueuse de Jean-Paul Sartre?



La Putain respectueuse est un bon exemple. Les problèmes posés – oppressions des minorités précaires – sont les mêmes, mais notre position par rapport à ces thèmes a beaucoup changé depuis sa création. Je suis assez convaincu que Sartre n’aurait pas écrit cette pièce aujourd’hui car l’actualité aurait biaisé sa priorité, qui est toujours de vulgariser des principes philosophico-politico-éthiques, et de mettre les protagonistes en face de choix - typiquement le racisme l’intéresse moins en tant que tel que le rapport de force qu’il détermine.



Aujourd’hui, on ne voit que le Noir et Black Lives Matter, et la mise en scène ne peut qu’aller dans cette direction. J’adore le théâtre de Sartre pour les mêmes raisons que je le déteste: ces pièces sont des mécaniques parfaites... dans lesquelles tout est décidé!






Peut-on revenir sur le dyptique qui a ouvert la saison, Éveil /Printemps - Trigger Warning, deux textes qui à 125 ans d’écart traitent des tentations, des excès et des dangers de l’adolescence?

Pour Éveil /Printemps, que j’ai mis en scène, j’avais l’avantage de partir de ma propre traduction, qui est déjà une interprétation. C’est aussi le premier texte d’un jeune auteur, ce qui permet de ne pas évoluer avec le poids d’une œuvre colossale sur la tête. Il fait preuve d’une grande liberté, qui le fait dire ce qu’il veut, jusqu’à l’inconscience. C’est très radical, moderne -le personnage de la jeune fille, une totale ingénue à l’érotisme incandescent qui la dépasse totalement est très touchant - et il pourrait encore être jugé comme scandaleux plus d’un siècle après son écriture.



À l’opposé, le texte de Trigger Warning – très contemporain avec ses interventions sur les réseaux sociaux qui tournent mal – est totalement glaçant. J’en retiens que le dispositif sonore était très imposant et qu’il était ardu, exigeant, excitant pour les comédien-ne-s d’y trouver leur liberté. Mais ils ont été très satisfaits de réaliser qu’ils pouvaient atteindre à la virtuosité nécessaire pour s’emparer de ce texte.

Le décor a évolué en cours de saison.

Scénographiquement, les deux premiers spectacles ont été composés exclusivement avec un escalier en pente raide – qui a ensuite laissé progressivement un peu d’espace «plat» au fil des spectacles. Nous nous réjouissons que vous n’ayez perdu personne sur chute en cours de route... Plus sérieusement, cela imposait une dimension abstraite aux deux premières productions.


Nous revenons à la durabilité. Depuis 8 ans, nous expérimentons la déclinaison du même décor pour plusieurs spectacles. Cela impose un travail intéressant: imaginer une scénographie indépendamment de ce que l’on raconte avec. L’idéal serait d’inventer la boîte de Lego parfaite composée d’éléments recyclés d’anciennes scénographies ou de nouvelles constructions en matériaux durables et réutilisables. La question est cependant de savoir que mettre dans une boîte de lego pour qu’elle puisse permettre d’envisager toutes les scénographies possibles et imaginables.



Nous allons d’ailleurs développer ces questions de scénographie et plus largement de durabilité au théâtre à l’occasion des 75 ans du POCHE (du 28 au 30 avril 2023, n.d.r.) – car l’urgence climatique et les nouveaux moyens qu’il faut envisager pour faire du théâtre «vert» sont tout simplement primordiaaux.



À la suite de ce forum, une vente aux enchères orchestrée par Rébecca Balestra permettra également de remettre en circulation des accessoires et costumes de théâtre au profit de Caritas et de leur projet de Recyclerie.


Vous allez dévoiler votre saison à l’issue des festivités du 75e anniversaire. Un scoop pour leprogramme.ch?

Nous allons encore aller plus loin dans notre démarche. Avec les décors mais aussi avec l’Ensemble. La programmation reprendra des classiques des années 80, nous produirons bien sûr également des auteur-e-s contemporain-e-s mais aussi des reprises de textes déjà présentés au Poche. Et je vous invite chaleureusement à venir partager un verre lors de l’annonce de saison du samedi 29 avril pour en savoir plus!



Propos recueillis par Vincent Borcard





Fêter 75 ans et annoncer la suite



Programme:


Vendredi 28 avril:

15h, Forum sur l’Ensemble, présentation et table ronde

19h, Projection du film de L’Ensemble de David Maye, qui a suivi une partie de la troupe du POCHE /GVE pendant la création du spectacle Le Père Noël est une benne à ordures à l’automne dernier.



Samedi 29 avril

15h00, Forum sur la durabilité

- Rencontre avec Edouard Morena, auteur de Fin du monde et petits fours (2023)
- Entretien avec Julie Sermon autour des questions de durabilité au théâtre, autrice de Morts ou vifs (2022)
– Présentation du Projet vert pilote par mAthieu Bertholet, directeur du POCHE /GVE


17h30: vente aux enchères de costumes et accessoires de théâtre, commissaire-priseure Rébecca Balestra.
Cette vente sera au profit de Caritas et leurs actions autour de la seconde main - La Recyclerie - mais aussi de leur travail social dans son ensemble.
19h, annonce de saison 23-24 par Mathieu Bertholet

Dimanche 30 avril:

17h: Dernière représentation de La putain respectueuse


Dès 18h15, bal musette recyclant les airs des 75 dernières années



- à l’exception de la représentation de La Putain respectueuse, tous les événements sont gratuits.

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