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Le théâtre vertical de Mélissa Von Vépy

Publié le 17.11.2015

 


Accompagnée d’un orchestre ou seule en scène, Mélissa Von Vépy conçoit des spectacles aériens qui racontent de vraies histoires. De passage au Théâtre Am Stram Gram à Genève, elle y présentera sa dernière création, J’ai horreur du printemps du 24 au 29 novembre et VieLLeicht les 1er et 2 décembre, un spectacle créé en 2013 au Théâtre de Haute Pierre de Strasbourg qu’on a pu voir en 2014 au Théâtre de Vidy-Lausanne. Le premier propose un manège triangulaire entre musique, théâtre vertical et bande dessinée et le second, la rêverie d’un être-pantin sur la disparition de ses pesanteurs. Rencontre avec le théâtre d’une femme-plume.

 

 

De nationalité franco-suisse, Mélissa Von Vépy naît à Genève en 1979. Enfant, elle apprend les bases des techniques du cirque aux Ateliers des Arts du Cirque de Genève auprès d’Etienne Abauzit, qui, en passionné, lui transmet surtout le goût de la recherche et de la créativité. A 15 ans, elle choisit la discipline du trapèze et entre au Centre National des Arts du Cirque en France, seule école avec celle de Montréal à dispenser cette formation dans l’optique du "nouveau cirque" qui émergeait alors. En 2000, elle cocrée la Cie Moglice - Von Verx qui reçoit le prix Arts du cirque de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques en 2007. Depuis quatre ans, Mélissa Von Vépy poursuit sa démarche de création en tant que directrice artistique de la compagnie dont le nom est devenu Happés. Conceptrice et interprète de ses pièces, elle développe sa recherche autour de l’aérien lié au théâtre et à la danse.

 

En quoi consiste votre travail sur «l’exploration singulière des dimensions physiques et intérieures de la gravité»?

En tant que trapéziste, mon premier langage est celui du corps, grimpant, suspendu, évoluant dans l’axe vertical. La gravité, la pesanteur sont indissociables à ma pratique physique, c’est très concret! Ensuite seulement, la dimension artistique intervient en ce que je peux "traduire", évoquer, à partir de mon "savoir-faire". C'est là que le champ des possibles est infini. Comme le dit si bien Gaston Bachelard: «Devenir léger ou rester pesant; en ce dilemme, certaines imaginations peuvent résumer tous les drames de la destinée humaine».

 

Dans J’ai horreur du printemps vous rendez hommage au bédéiste Fred et à son Petit cirque. Comment avez-vous découvert cette BD parue en 1973?

Mon père était peintre et dessinateur. C’est donc très jeune que j’ai eu entre les mains cette BD, une grande référence pour les amateurs du genre. L'album est constitué de courtes histoires qui racontent les errances d'une petite famille de forains. Elle chemine dans des paysages désertiques, tirant sa roulotte – enfin c’est la femme, Carmen, que j’interprète, qui tire la roulotte! S’il n’y a pas de représentation, le cirque, dans sa magnifique absurdité et sa folle poésie, est pourtant au cœur de ces aventures à travers les rencontres faites sur la route: funambules-migrateurs sur fils électriques, trapézistes-espions bagués comme des pigeons-voyageurs, plante carnivore à dompter, etc.

 

Sur scène, en vous appuyant sur un écran où sont projetés des dessins originaux de Fred, vous animez ces derniers en leur donnant une troisième dimension. Quel a été votre processus de création?

Stéphan Oliva, le compositeur et pianiste avec qui j'ai conçu cette pièce, en est l'initiateur. Nous avons choisi ensemble différentes histoires du Petit cirque de Fred, fil rouge de ce concert-spectacle. J’ai choisi d’interpréter le personnage féminin de la BD, Carmen, à partir duquel j'ai conçu de courtes séquences en m'appuyant sur l'univers caractéristique de cette BD. De la même manière, Stéphan a composé la musique dans un rapport sensible à l'image. Nous avons d'abord cheminé à deux, à l'écoute, en regard l'un de l'autre, puis nous avons été rejoints par une précieuse et fidèle équipe de créateurs (scénographe, vidéaste, éclairagiste, costumière, dramaturge).

 

 

Quel rôle tient l’orchestre qui vous accompagne?

Les quatre musiciens cheminent avec Carmen et Léopold, son mari, depuis toujours. Entièrement intégrés au paysage, ils sont le pendant de l'image. La forme de J'ai horreur du printemps est vraiment singulière de par son tramage entre BD, musique et cirque.

 

Dans VieLLeicht vous vous inspirez de la brève nouvelle de Kleist, Sur le théâtre de marionnettes. Comment expliquez-vous le jeu de mot dans ce titre en allemand?

Vielleicht signifie "peut-être", comme "pouvoir exister" et cela me semblait à propos pour la marionnette humaine que j'interprète. Si l'on découpe ce mot en "Viel" et "Leicht", on peut le traduire par "très léger", ou "beaucoup de légèreté". Ce spectacle met en scène notre quête d'apesanteur, de soulèvement de notre condition de mortels, qui à son apogée serait "l'état de grâce" dont parle Kleist dans sa nouvelle.

 

La bande son signée Jean-Damien Ratel, comme votre costume et l’ambiance lumineuse, est digne d’un film d’aventure.

On m'a déjà dit que l’esthétique de ce spectacle faisait penser à l’univers de Jules Verne, qui est du même siècle qu’Heinrich von Kleist. Mais c'est plutôt en termes de vivant, de souffles, de températures, que nous avons travaillé au déploiement de cette "figure" d'être-pantin, en ses tiraillements entre sauvagerie et conditionnement.

 

 

Femme-marionnette, vos membres sont reliés par des cordes à des poulies, quelqu’un vous aide-t-il à jouer des contrepoids?

C'est là l'une des contradictions passionnante d'imaginer un pantin-vivant: il devient ainsi son propre marionnettiste, concrètement responsable de sa verticalité. Ceci dit je crois aussi qu'il y a toujours un élément extérieur, quelqu'un, quelque chose qui nous dépasse et qui prend sa part au tirage des fils!

 

Vos spectacles proposent de réelles chorégraphies en trois dimensions, qui et où êtes-vous lorsque vous êtes dans les airs?

Je me trouve à la fois dans un état de conscience accrue mais aussi dans une forme d'abandon. Alors je ne suis plus personne et c'est délicieux!

 

Propos recueillis par Alexandra Budde

 

J’ai horreur du printemps du 24 au 29 novembre et VieLLeicht les 1er et 2 décembre au Théâtre Am Stram Gram à Genève.

Renseignements et réservations au +41.22.735.79.24 ou sur le site du Théâtre www.amstramgram.ch

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