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Le TMG déploie la poésie du fil

Publié le 19.05.2022

La marionnette à fil serait la grande perdante du théâtre de marionnettes contemporain. En réaction, Isabelle Matter et le Théâtre des Marionnettes de Genève proposent du 20 au 22 mai un Cabaret en chantier (dès 9 ans) qui redonne à découvrir la magie de cette discipline, et sa poésie si particulière. Des numéros et des pièces courtes se succéderont sur scène. Derrière ce spectacle attendu très poétique, des mois de réflexions, d'échanges entre trois metteur(e)s en scène, et un laboratoire de quelques semaines, qui a réuni les forces, l'imagination et l'enthousiasme d'une grosse demi-douzaine de professionnels... qui en retireront des idées pour une de leurs prochaines productions. Mais en attendant, Isabelle Matter raconte l'historique et l'aventure de ce Cabaret en chantier.  


Le Cabaret en chantier de cette fin de saison a pour objet la marionnette à fils. Est-ce parce qu’elle est moins pratiquée de nos jours?

Isabelle Matter: Oui, et ceci pour plusieurs raisons. La construction d’un tel objet est déjà plus complexe. Et le contrôle à distance de la marionnette est lui-même plus sophistiqué. La marionnette à fils est aussi moins abordée dans les écoles professionnelles.

Mais je crois que le frein le plus important est autant psychologique qu’artistique. Dès les années 60, les marionnettistes sont sortis de derrière le castelet - le petit théâtre de marionnettes, ndr.

Et chacun a réalisé que les voir derrière les marionnettes n’empêchait pas la magie du théâtre d’opérer. Quand la marionnette est bien manipulée, l’attention du spectateur est captée, et on oublie le reste. Voir ou percevoir le marionnettiste peut même apporter un plus, une métaphore des forces qui sont derrière nous et qui nous guident et nous influencent.



Donc?

Le semblant d’autonomie dont bénéficie la marionnette à fils n’est plus apparu comme aussi intéressant. La pratique du marionnettiste qui fixait et réglait lui-même les fils, afin de découvrir et peaufiner lui-même les plus beaux mouvements s’est raréfiée.



Vous avez pourtant proposé un spectacle de marionnettes à fils le printemps dernier, La Poupée Cassée?


Oui, mais avec des fils plutôt courts. Cela impliquait un dispositif conséquent pour le soulèvement de la scène d’où opérait le marionnettiste. C’est plus compliqué qu’avec des marionnettes manipulées sur une table.

La manipulation est-elle à ce point technique?

Oui, et comme je le mentionne, il faut distinguer les fils courts des fils longs. Dans ce deuxième cas, il faut une passerelle surélevée à partir de laquelle l’artiste manipule la marionnette située deux mètres plus bas - ce qui privilégie l’impression d’autonomie de la marionnette. A l’époque où cette pratique était courante, les troupes formées d’équipes pouvant aller jusqu’à 20 marionnettistes ne faisaient pas de tournées.





Quel est l’état des lieux du spectacle de marionnettes à fils, aujourd’hui - si l’on excepte le plébiscite pour La Poupée Cassée?!



Il y des compagnies qui sont restées dans le même registre du conte de fées. Mais il y a des gens comme l’Allemand Frank Soehnle qui ont réinventé et rénové le genre, le plus souvent dans des spectacles sans parole, sans texte. Un groupe brésilien a aussi monté un texte du Marquis de Sade avec des scènes érotiques. Mais il y a encore de la place pour renouveler le domaine des possibles de la marionnette à fils! La question est de savoir ce que l’on veut raconter avec des marionnettes qui ont ce semblant de supplément d’autonomie?

Ce qui nous amène à votre Cabaret en Chantier!

Oui, j’ai invité deux autres metteurs en scène. Et, ensemble, avec quelques marionnettistes, nous nous sommes donnés un peu de temps pour faire des recherches et nous laisser guider par nos envies de nous emparer de cette technique. J’ai fait appel à des collègues avec qui j’échangeais déjà depuis longtemps. En l’occurence Johanny Bert - dont le Hen avait ouvert la saison 2021-2022, ndr. Et Émilie Flacher, qui est souvent venue chez nous - cette saison avec Fables, ndr.

Comment avez-vous procédé?


Nous avons d’abord invité Liviu Berehoï, un maître filiste roumain- participant du spectacle La Poupée Cassée, que l’on mentionne pour la dernière fois dans ce texte, ndr, pour une formation. Puis, chacun à notre tour, nous avons développé des petits projets, toujours en équipe avec les autres. En voyant les collections du Théâtre de Marionnettes de Genève, Emilie Flasher a décidé de leur faire dire des textes contemporains. L’idée est donc de changer le contenu.

Johanny Bert s’est plutôt intéressé à la question de la manipulation. Il a conçu une marionnette plus grande, qui nécessite quatre marionnettistes. Et il a eu l’idée de la manipuler depuis le sol, grâce à un système de poulies reliées à une structure mobile. Le défi est d’être aussi mobile que possible. Et le résultat est très beau. Je trouve très émouvant l’interaction entre cette grande marionnette et les marionnettistes, visibles, qui la font bouger, cela fonctionne comme un choeur.







Et votre projet?



Je m’intéressais à saisir comment les marionnettes s’expriment quand nous sommes aussi loin d’elles. Comment se communique l’impulsion. J’ai travaillé là dessus à partir de marionnettes classiques mais aussi d’une grande tête. A chaque fois, il faut rechercher ce qui fonctionne, ce qu’on arrive à insuffler à la marionnette - et en définitive trouver un rapport à la manipulation qui nous donne envie.



Un des objectifs de ce laboratoire serait donc d’encourager au renouveau des marionnettes à fils?

Oui, de redonner du désir pour cette technique pleine de potentiel et de trouver des formes qui peuvent convenir aux projets de chacun.

A quoi doivent s’attendre les spectateurs?

Nous développons de petits modules d’une durée de 3 à 15 minutes. Ce sont des numéros, un terme qui convient à la définition d’un Cabaret. De par leur variété, ils témoignent de nos différentes recherches. Il ne s’agit pas d’un spectacle spécifiquement pour les plus petits.

Dans un texte célèbre, Kleist évoque l’admiration d’un grand danseur pour la manière dont les marionnettes se déplacent? Qu’en pensez-vous?

Il est certain que pour danser, elles sont merveilleuses. Elles défient la gravité, elles sont magnifiques pour tout ce qui a trait à la suspension.

J’ai apprécié aussi des effets très intéressants dans le rapport entre la marionnette, qui est une miniature à côté du marionnettiste. Nous proposerons d’ailleurs un dispositif qui joue sur ce contraste. Comme avec l’éloignement, le ressenti de vie propre de la marionnette est plus important, cela ouvre un potentiel inédit dans les interactions.

Propos recueillis par Vincent Borcard


Cabaret en chantier
Du 20 au 22 mai 2022 au Théâtre des Marionnettes de Genève (TMG)

Johanny Bert, Émilie Flacher et Isabelle Matter, mise en scène
Avec Fidèle Baha, Liviu Berehoï, Martine Corbat,, Chine Curchod et Hélène Hudovernik
Christophe Kiss et Judith Dubois, marionnettes spéciales

Informations, réservations:
https://www.marionnettes.ch/spectacle/262/le-cabaret-en-chantier

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