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Partitions partagées

Publié le 05.02.2024

À découvrir au Pavillon ADC-Genève et dans le cadre du Festival Antigel, du 14 au 16 février, Pleased to go as a lovesong du compositeur multi-instrumentiste et performeur Samuel Pajand & Friends est une soirée en trois temps et autant de stations.

L’exploration artistique emporte au cœur de dimensions musicales, chorégraphiques et visuelles dialoguant entre elles au fil d’une inventivité renouvelée. Pour mémoire, Samuel Pajand a accompagné musicalement nombre de créations du ludion de l’Absurde décalé, Marco Berrettini, tout en collaborant avec les chorégraphes Cindy Van Acker et Marie-Caroline Hominal.

Performeur, l’homme créée en compagnie de Véronique Maréchal L’Horloge de l’amour. Douze heures d’affilée en la plus complète nudité, l’artiste figure la grande aiguille tandis que la jeune femme placée sur lui incarne la petite.

En ouverture de soirée, le pas de deux à la fois chanté, joué et chorégraphié déjà créé avec la danseuse Cosima Grand, Pleased to meet you. L’interconnexion avec le musicien se cristallise d’abord autour du corps même de la guitare électrique. La voici longuement embrassée, transfigurée, réverbérée. Au sol et en tensions, la danseuse cisèle un balancement hypnotique pouvant s’inspirer librement notamment d’une œuvre sculptée du musicien à base de géométrie constructive et ludique.

Puis en création As it goes (Comme ça vient), une création au piano de Samuel Pajand invitant à prendre les choses comme elles viennent et puisant lointaines références chez les Stones du côté du Dies Irae, hymne liturgique aux morts. Le musicien a convié la danseuse Maya Masse et le danseur, écrivain, performeur et chorégraphe Theo Livesey*. Qui axe son travail de chorégraphe sur l’acte de fictionner. Sur la partition de Samuel Pajand, Masse et Livesey imaginent à tour de rôle les postures et états de silhouettes puisés dans les lignes de corps et d’expressions de chanteurs rock. Lovesong(s), le trio concertant amènera un point d’orgue rock à la soirée. Entretien avec Samuel Pajand.



Comment avez-vous rencontré la danse?

Samuel Pajand: C’est un brin par hasard que j’ai rencontré l’univers chorégraphique dans le cadre de La Ménagerie de Verre** (Paris) à la vingtaine. Après des études en audio-visuel, mon attirance naturelle me portait vers les studios d’enregistrement, me destinant à devenir ingénieur du son.

Dans le sillage de stages, je tombe sur un emploi jeune précisément à La Ménagerie de Verre, site qui a vu les débuts du chorégraphe français historique, Jérôme Bel. Ce milieu chorégraphique m’a immédiatement attiré. Il me semblait que l’on y prenait le temps de faire les choses tout en évitant un rapport hiérarchique omniprésent.



Sur votre route, un artiste historique, Marco Berrettini. Vous avez participé à la série des i Feel 2, 3 et 4, Cry et My Soul is My Visa.

Vivant encore à Paris, j’ai rencontré le chorégraphe Marco Berrettini. À mes yeux, ce fut une collaboration essentielle, déterminante tant cet artiste m’a proposé de venir créer au plateau, loin de la multidiffusion que pratiquais en création sonore alors depuis la régie. Ou comment investir le plateau en tant que performeur.

À l’image notamment de mon travail sur i Feel 4, nous avons souvent créé la musique ensemble avec Marco Berrettini. Elle était conçue au début de la pièce. Du coup, la musique participe grandement à la dramaturgie des pièces.

Parmi les créations, i Feel 2 est formé d’un trio. Il y a d’abord le duo en pas chassés puis croisés réunissant Marie-Caroline Hominal et Marco Berrettini. Pour ma part, je joue de la trompette, suspendu et dissimulé dans le feuillage d’une grande plante verte, dont je m’extrayais à la fin de la pièce. Par ailleurs, j’ai aussi progressivement investi le chant performatif dans ma pratique scénique.

Comment est née l’idée de cette soirée tripartite?

Elle a été imaginée dans le sillage du duo avec la danseuse Cosima Grand, Pleased to meet you, où je suis à la guitare électrique et créé dans le cadre du Festival Dance First. Think Later arpentant les rencontres possibles entre danse et arts plastiques. La danse se déploie en relation notamment avec une sculpture intitulée 57 points de rencontre que j’ai créée pour la biennale heart@geneva.

Concrètement, il s’agit d’une peinture acrylique sur bois entourée d’un cercle en fer et parsemée de 108 clous reliés par 56 fils de jute. Cette géométrie a pu inspirer très librement certaines dynamiques, directions et forces à l’œuvre dans la danse de Cosima Grand.

Cette pièce est ici reprise au Foyer de l’ADC. Nous faisons résonner la guitare à partir de nos bouches et chantons une chanson en chœur.





Et en deuxième partie de soirée...

L’idée de la seconde pièce, As it goes (ici en création) fait suite au projet initial d’une composition au piano que j’espérais dans un second temps transcrire à l’orgue, instrument que je ne connaissais pas et que Vincent Thévenaz, organiste à la cathédrale de Genève, devait me faire découvrir.

Le morceau composé sur improvisations comporte une dimension percussive et dynamique peu compatible in fine avec l’orgue. Or ce morceau méritait d’entrer en dialogue avec la danse.

J’ai découvert Maya Masse au détour de Diverti Menti (2020), pièce dansée signée de la chorégraphe Maud Blandel, à partir d’une réorchestration par trois solistes de l’Ensemble Contrechamps du Divertimento K. 136 écrit par Mozart.

La danseuse fait pleinement partie des instrumentistes jouant musicalement avec son corps. D’où une proposition relativement libre de partager le plateau avec Maya Masse, qui souhaitait aussi collaborer avec Theo Livesey.

Comment cela peut se traduire dans la danse?

Sachant qu’il y aurait le set de Lovesong(s) en dernière partie de soirée, Maya Masse et Theo Livesey se sont intéressés au plan chorégraphique à la figure des chanteuses et chanteurs. On peut relever ici notamment Tricky et Nina Simone.

Or ces différentes figures n’ont finalement pas joué un rôle déterminant pour elles-mêmes dans la dramaturgie ouvrant sur le fait de performer dans une couche de réalité partagée entre musique live et danse.

Le dessein est plutôt d’interroger ce que veut dire le fait de bouger, de danser alors que l’on produit du son. Lors des répétitions, j’ai pu relever que Masse et Livesey travaillaient à partir de qualités contrastées: la condensation du mouvement à l’intérieur du corps et son extension, à travers la respiration, par exemple.





Enfin, la musique est reine...

Nous terminons avec le concert rock de Lovesong(s),qui se tient au grand plateau. Le désir est ainsi d’investir plusieurs endroits au sein du Pavillon de l’ADC afin d’explorer plusieurs angles d’approches tant scénographiques que dramaturgiques, musicaux et acoustiques.

Fruit à l’origine notamment d’un travail solitaire en studio avec batterie et basse, les morceaux sont composés en yaourt (proche de l’anglais) avant d’en trouver les paroles, en gardant à l’esprit la plus grande importance des sons sur les mots, une idée chère à certaines avant-gardes russes du début du siècle dernier.

Je tiens la trompette, le duduk*** et un tambour coréen et chante aux côtés de Stephane Vecchione à la batterie et Barbara Bagnoud qui as succédé comme bassiste à la regrettée Heleen Treichler. C’est simple, répétitif et tourne autour de l’amour et de sexe dans la plupart des chansons.

Petit-fils d’horloger, vous avez réalisé la performance filmée à huis clos L’Horloge de l’amour.

On peut parfois se voir comme du-dessus de nos corps assemblés en faisant l’amour.

La nuit du 11 décembre 2018, alors que ma compagne était allongée sur moi, elle réalisait un tour dont l’axe était formé par nos sexes réunis. C’est de cette intuition qu’est parti le filmage en aplomb de nos deux corps dénudés indiquant les heures et les minutes en temps réel. Il s’agit de la création artisanale et petit budget d’une horloge existant en trois exemplaires, dont l’un est propriété de l’ADC.

D’une taille de 30 cm, cet objet peut donc réellement indiquer l’heure. En réalité, nous ne sommes pas restés, Véronique Maréchal et moi-même, douze heures de suite dans ses postures d’aiguilles de montre. Mais nous étions toutefois continument posés sur un matelas de de 2.32 m de diamètre filmé en surplomb.

À partir de sept heures conservées sur les douze, nous avons réalisé des raccords au fil des jours suivants le 20 juin 2019, date de la performance.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Pleased to go as a lovesong
Du 14 au 16 février au Pavillon-ADC

Pleased to meet you:
Samuel Pajand, concept et sculpture
Cosima Grand et Samuel Pajand, performance

As it goes:
Samuel Pajand et Maya Masse et Theo Livesey, concept
Samuel Pajand et Maya Masse ou Theo Livesey, performance

lovesong(s):
Samuel Pajand, Barbara Bagnoud et Stéphane Vecchione

Informations, réservations:
https://pavillon-adc.ch/spectacle/samuel-pajand-pleased-to-go-as-a-love-song-2024/

Dans le cadre d'Antigel



* La danseuse Maya Masse appréciée notamment chez la chorégraphe Maul Blandel - de Cheerleader à L’Œil nu ou du côté de Gisèle Vienne avec le tellurique Crowd. Theo Livesey a dansée notamment chez Gisèle Vienne (Crowd, Extra Life).

** Actuellement dirigée par le metteur en scène Philippe Quesne, la Ménagerie de Verre est depuis plus de 40 ans un lieu emblématique pour la danse contemporaine et destiné à l’Avant-garde. Accueillant des performeuses et performeurs émergent.es, il est situé dans une ancienne imprimerie parisienne et a vu passer parmi d’autres, Mathilde Monnier, Daniel Larrieu, Régine Chopinot, Jérôme Bel, Alain Buffard et Claudia Triozzi, ndr.

*** Sorte de hautbois joué dans le Cause et instrument emblématique de la musique arménienne, ndr.