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Splendeurs et misères des nettoyeuses

Publié le 29.09.2022

Basée sur une histoire vraie opposant des nettoyeuses, un syndicat, un prestataire et une banque privée genevoise, (Malgré qu'on me traite comme de la merde,) je suis quand même gentille revient sur la lutte des classes, sur le combat entre David et Goliath, tout en refusant absolument de sombrer dans le manichéisme et la simplification. Bien au contraire, le spectacle entend confronter le spectateur à ses propres représentations, avec humour et  opiniâtreté. Le spectacle est à découvrir du 4 au 16 octobre au Théâtre du Loup. L'auteur et metteur en scène Jérôme Richer nous explique (presque) tout. Avec gentillesse.

Votre pièce met en scène la grève d’un groupe de nettoyeuses au sein d’une grande banque privée genevoise. Vous vous êtes inspiré d’une histoire vraie. Pourquoi avoir choisi cette thématique?

Dès ma lecture des premiers articles sur la grève, j’ai senti la nécessité que cette matière devienne spectacle. Nous sommes partout entourés de personnes qui travaillent dans ce secteur-là: au sein des espaces publics, des bureaux, des entreprises. Il s’agit d’emplois difficiles et les personnes qui l’effectuent sont souvent invisibles. La grève que les nettoyeuses ont organisée permet de porter un éclairage sur la réalité de ces métiers. C’est cette matière forte qui est racontée dans la pièce.

Cette grève, c’est un peu l’archétype de David contre Goliath. C’est ce que vous avez voulu montrer?

Cette grève est effectivement exemplaire de certains rapports sociaux. Néanmoins le spectacle ne cherche pas à héroïser les nettoyeuses. Ce serait trop simple. Bien souvent ces personnes que j’ai pu rencontrer – qu’elles aient ou non participé à la grève – présentent des profils extrêmement divers. Mais nous avons malheureusement tendance – moi le premier – à mettre des gens dans des catégories, ce qui efface leur humanité et leurs particularités. L’une des priorités de notre spectacle est de révéler cela sans que les personnages ne deviennent pour autant des héroïnes.



C’est-à-dire?


Je pense que si l’on veut que notre société évolue, il ne faut pas penser en termes de héros et d’héroïnes. Le spectacle n’est pas là pour dire ce qu’il faut penser du secteur du nettoyage, même si la pièce montre de quoi il s’agit. L’important, c’est que chaque spectateur ou spectatrice puisse se positionner.

Durant la préparation du spectacle, j’ai demandé aux comédiennes d’improviser afin qu’elles prennent conscience de leur rapport à ce domaine, soit quand elles font le ménage elles-mêmes soit quand elles emploient, si c’est le cas, une femme de ménage.

Au-delà de ces interrogations philosophiques et sociologiques, votre spectacle est-il aussi un thriller?


Disons que j’essaie de stimuler l’attention tout en questionnant les schémas de narration du 19ème siècle avec les gentils, les méchants et les obstacles à surmonter. J’ai essayé d’y introduire des perturbations afin de stimuler l’écoute et d’amener ce que j’appelle des «échappées».

Le roman et le cinéma permettent de donner plus d’informations factuelles, alors que le théâtre sollicite davantage d’imagination. Qu’en est-il avec ce spectacle?

Il n’y a rien de pire selon moi qu’un spectacle qui vend un discours formaté. S’il suffisait de monter une pièce de théâtre qui dénonce, disons, le racisme, pour que ce phénomène disparaisse, cela se saurait depuis longtemps. Ce qui me touche, c’est une œuvre qui éveille à certaines réalités et que je peux m’approprier en fonction de ma sensibilité. Quand je fais de la mise en scène, je ne pense jamais à une spectatrice ou un spectateur supposé lambda. J’essaie de faire un spectacle que j’aurais plaisir à regarder





Donnez-vous un exemple d’un piège dans lequel vous n’êtes pas tombé dans votre pièce?


Disons que j’essaie le plus souvent de questionner mes propres présupposés de lecture du monde. Il y a une scène où l’on voit la secrétaire syndicale en charge du nettoyage. Dans un premier temps, elle est présentée dans une sorte de sur-scénarisation comme on peut en voir dans certains films américains. La syndicaliste apparaît comme une super woman (héroïne) avec une musique saturée de violons, et finalement une autre comédienne casse le fil et demande à la cantonade: «À quoi on joue? Ce n’est pas Céline Dion, cette femme fait juste son métier!». C’est entre ces deux moments scéniques que le public peut se positionner. 


Parlez-nous de votre approche de l’humour dans un sujet aussi sérieux?


Je suis dans la joie à raconter cette histoire, l’équipe est portée par la joie et j’espère que cela sera perçu. Car, oui, il y a toujours un écueil quand on privilégie un théâtre ancré dans des questions politiques : la prise de tête. Je réfute cette ornière. Je crois qu’il est possible d’aborder des problématiques «dures» de manière ludique, divertissante, sans se départir du réel.

Vos personnages ont-ils le temps d’exprimer leurs rêves?


C’est quelque chose que je souhaitais développer. Malheureusement, la densité de la matière, dans un format d’un spectacle d'une centaine de minutes oblige à des choix. Mais cela peut surgir comme des échappées dans le récit. Cela apparaît par exemple quand une nettoyeuse aguerrie discute avec une collègue qui débute. Elles parlent de ce qui rend ce métier supportable. Ce qui fait que pour l’une ou l’autre ce métier est présenté comme agréable.





Quel type d’humour privilégiez-vous?

Jamais de cynisme – je trouve qu’il paralyse. Plutôt de l’ironie. Je crois à la force de l’humour pour raconter une histoire. L’humour met les choses plus proches, plus accessibles. Il faut trouver l’équilibre pour, tout en restant sensible, amener le public à se questionner, à réfléchir à son positionnement par rapport à la situation des personnages du spectacle.

Toujours la lutte des classes?

Oui, c’est très clair. On la voit à l’œuvre dans le monde du nettoyage. Même si nous les applaudissions pendant la pandémie, les professions dites essentielles – et j’y place le nettoyage – sont encore sous pression. Les inégalités se sont encore creusées, les schémas d’externalisation se sont accentués ces dernières années.

Faut-il trouver un nouveau théâtre pour parler de ça?

Il faut simplement à chaque fois essayer de trouver les meilleurs moyens de raconter le monde – et de ne pas en désespérer. On a besoin d’espoir. Et cet espoir doit nous donner un cadre, sur lequel on réfléchit à comment on peut construire un monde un peu différent.

Sur scène, six comédiennes vont incarner un grand nombre de personnages. Est-ce une piste pour communiquer sur la complexité du sujet?


Cela permet de souligner qu’une personne n’est pas réductible à une fonction. Et sortir de la peau d’un personnage pour rentrer dans celle d’un autre génère aussi un supplément de vitalité. Cela exige des comédiennes une grande rigueur technique, une grande vivacité : rendre la lecture de ces changements simples, limpides pour les spectateurs n’est pas toujours facile. Et comme mon texte n’aborde pas la mise en scène, cela nous amène à chercher au plateau la meilleure grammaire pour cela.

Résultat : il est arrivé que le metteur en scène Jérôme Richer maudisse l’auteur Jérôme Richer!!! Mais nous sommes dans les temps, on va y arriver! Même si cela est parfois fatigant sur le moment, j’adore ce processus dialectique avec moi-même!

Propos recueillis par Vincent Borcard


(Malgré qu'on me traite comme de la merde,) je suis quand même gentille
à découvrir du 4 au 16 octobre au Théâtre du Loup

Jérôme Richer, texte et mise en scène
Avec Donatienne Amann, Fanny Brunet, Camille Figuereo, Julia Portier, Jacqueline Ricciardi, Thaïs Venetz
Un spectacle de la Cie des Ombres

Informations, réservations:
https://theatreduloup.ch/spectacle/malgre-quon-me-traite-comme-de-la-merde-je-suis-quand-meme-gentille/