Social Tw. Fb.
Article

Une femme de tête aux Marionnettes

Publié le 29.08.2015

 


Isabelle Matter a pris les rênes du Théâtre des Marionnettes de Genève en juin dernier. Dans la continuité de Guy Jutard, treize ans à la tête de l’institution genevoise, elle travaillera avec la famille d’artistes constituée par le marionnettiste français. La nouvelle directrice entend aussi élargir ses collaborations à d’autres horizons, mêlant problématiques sociales et existentielles au fil de douze spectacles. Le regard tourné vers des grandes dames de la marionnette en Europe notamment, elle ouvrira sa première saison le 19 septembre avec Ilka Schönbein. L’artiste multifacettes qui aime concevoir ses propres marionnettes ou adapter les textes à la pratique exigeante de son art, nous dévoile quelques ficelles du métier.

 

Le passage de flambeau s’est fait en douceur. A la tête du Théâtre des Marionnettes de Genève, la Genevoise Isabelle Matter a pris la relève de Guy Jutard en juin dernier, parti pour une retraite bien méritée. Dévouée corps et âmes à la marionnette, l’artiste genevoise entend faire fructifier le travail de son prédécesseur, marionnettiste, metteur en scène et comédien qui a assuré pendant treize ans la direction de l’institution genevoise. « Guy Jutard a ouvert la marionnette à d’autres publics, a montré à beaucoup de monde que cet art est un art à part entière et qu’il n’a rien d’infantilisant. J’ai vu des salles remplies d’adolescents contents d’être là. Et j’ai envie d’aller plus loin car les préjugés sont encore tenaces. On pense que la marionnette est simpliste et on la confine malheureusement à l’infantile », déplore-t-elle. Billes bleues, Isabelle Matter possède elle aussi de multiples casquettes : marionnettiste, metteure en scène, dramaturge, etc. Elle n’est d’ailleurs pas la première femme, ni la première Genevoise, à diriger le théâtre, qui doit ses origines à Marcelle Moynier puis son institutionnalisation à Nicole Chevallier.

 

Le Roi tout nu

On la rencontre dans les ateliers de répétition des Pontets, au Grand-Lancy. Elle y est en pleine phase d’exploration du Roi tout nu. Enthousiaste, Isabelle Matter se réjouit des expérimentations sur le plateau qui seront possibles à partir de l’adaptation du Roi nu d’Evgueni Schwartz. « J’adore son clin d’œil à la récupération des contes, ses grandes critiques du pouvoir. » Cette fable sociale sur les faux-semblants, dont l'intrigue est inspirée de contes d’Andersen, la suit depuis longtemps. Ce sera la première de ses deux créations de la saison, à découvrir en décembre, avant les fêtes de fin d’année. « On ne doit pas trouver tout de suite ; on peut chercher, se perdre un peu et tester les hypothèses de départ », s’emballe la metteure en scène. Environ six mois avant les représentations, elle a déjà pas mal de cartes en main : la première version du texte réécrit tout spécialement pour marionnettes par Olivier Chiacchiari – dramaturge genevois apprécié par sa plume vive et grinçante, souvent applaudi au TMG. L’artiste dispose aussi d’une ébauche de la scénographie, conçue par Fredy Porras, complice avec qui elle cofondait sa première compagnie pluridisciplinaire il y a vingt ans. « Je travaille en visualisant beaucoup les choses dans l’espace », confie-t-elle. Elle qui aime fabriquer ses propres marionnettes possède aussi un premier jet de marionnettes à tiges. Elle a confié à Pierre Monnerat, nom associé au TMG, le soin de les mettre au point. Une nouveauté dans la façon de travailler de la nouvelle directrice du théâtre, qui s’impose compte tenu des multiples autres tâches à gérer.

 

Univers hypnotique

Isabelle Matter continue donc à œuvrer avec la famille constituée par Guy Jutard. Mais elle souhaite aussi l’élargir, et stimuler le travail de groupes d’artistes romands, favorisant notamment des échanges intercantonaux. D’où l’accueil des Valaisans Les Héros fourbus, qui présenteront Tiempos en mars au TMG. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir le regard également tourné vers des artistes européens dont les spectacles très forts dépassent allègrement les frontières de leur pays. Sa programmation en est une belle illustration. En octobre, elle recevra le grand marionnettiste britannique Stephen Mottram, qui « se réapproprie la marionnette à fils de manière très contemporaine pour tisser un univers absolument unique et hypnotique » dans The Seed Carriers, réflexion humaniste sur la théorie de la génétique.

 

 

Hiver belge

Après la venue du théâtre d’ombres des Italiens Gioco Vita, habitués du TMG (Le Ciel des ours), l’hiver sera résolument « belge » rue Rodo. On y découvrira le travail d’Agnès Limbos, qui a commencé à irradier autour d’elle avec son théâtre d’objets, inspirant nombre d’artistes. Dans son sillage et en utilisant son langage, Isabelle Darras et Julie Tenret présenteront Fragile, trois petites histoires qui ouvrent sur l’imaginaire (dès 8 ans). « Les marionnettes hyperréalistes de Silence qui ne font presque rien et nous disent tout » nous plongeront ensuite dans le thème de la vieillesse. Mais avant cela, la première saison d’Isabelle Matter s’ouvrira le 19 septembre avec Faim de Loup, questionnement sur notre part d’ombre reflété par le magnifique spectacle d’Ilka Schönbein, qui a beaucoup tourné. Le travail de la marionnettiste française Laurie Cannac, « à la façon » de la grande dame allemande de la marionnette, illustre bien aussi ce phénomène de transmission auquel est sensible Isabelle Matter.

 

Si je rêve

A quatre mains pour l’écriture avec Domenico Carli, Isabelle Matter créait Donne-moi sept jours, en 2013. Un « hommage à l’humanité », qu’elle remonte cet automne pour le jeune public. L’auteur établi à Lausanne est aussi un grand complice de l’artiste. A ses côtés, il planche actuellement sur l’adaptation pour marionnettes de La Vie est un songe, de Calderon de La Barca, qu’Isabelle Matter mettra en scène au printemps (Si je rêve). Le sujet en est l’exclusion sociale, une des problématiques au cœur de sa programmation, axée aussi sur des thèmes existentiels et plus intimes. A l’instar de Pierre à Pierre, spectacle pour les tout-petits sur la curiosité, la rencontre de l’inconnu. Pour Isabelle Matter, ces deux grandes lignes se rejoignent à un moment ou un autre. A l’image de son parcours entamé par la sociologie à l’Université de Genève dans les années nonante, qui se confond aujourd’hui logiquement avec celui de la marionnettiste et directrice de salle.

 

 

Mettre de l’ordre dans le chaos

« Je ne suis pas passée de la sociologie à la marionnette. La sociologie faisait partie des questions que je me posais pour comprendre le monde d’un certain point de vue, ayant la sensation qu’il y a derrière des forces et des tensions sociales », nuance-t-elle. « Je crois très peu en l’innée en termes d’organisations sociales. La sociologie a été une manière d’approfondir ces questions, de mettre de l’ordre dans les pensées chaotiques d’une jeune adulte. » Parallèlement à ses études en sciences sociales, Isabelle Matter démarrait le théâtre avec une troupe amateur aux côtés de Gérald Chevrolet. « A l’époque, on montait une création par année. On faisait tout, des masques, des marionnettes, etc. Ça m’a plu tout de suite et je me suis mise ensuite à construire des marionnettes chez moi », se souvient-elle. Elle n’a pas non plus oublié le spectacle d’un marionnettiste jouant à vue, à Genève, qui déclenche en elle un déclic. « La façon de faire du théâtre en transposant par la marionnette et en montrant les ficelles m’a toujours enthousiasmée », sourit-elle. Puis l’envie de raconter des histoires lui est peut-être venue avec ses enfants. Elle se souvient aussi avoir monté des spectacles dans des parcs pour ceux qui ne se rendaient pas au théâtre. Bien probable qu’Isabelle Matter parvienne à les faire venir jusque dans les murs de son théâtre…

 

Propos recueillis par Cécile Dalla Torre

 

Découvrez toute la saison du Théâtre des Marionnettes de Genève sur leprogramme.ch ou sur le site www.marionnettes.ch

Filtres