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Publié le 26.02.2022

A l’affiche du Grand Théâtre de Genève, du 27 février au 10 mars 2022, Angelin Preljocaj créée Atys, tragédie lyrique. Sous la direction musicale de l’Argentin Leonardo García Alarcón, astre de la planète baroque, l’œuvre ne pouvait sans doute imaginer chorégraphe et metteur en scène plus inspiré et visionnaire qu’Angelin Preljocaj. Un artiste si marqué par l’univers baroque. Que l’on songe à sa pièce dansée, Les Quatre Saisons, sur la musique impulsive et enjouée de Vivaldi.

Dû à Philippe Quinaut, le livret inspiré d’Ovide est le récit archétypal d’un chassé-croisé en amours et désamours. Le rêve s’y confond à la prémonition puis à la révélation d’événements dissimulés. Et comme les amours entre déités et humanités finissent mal en général... Au chapitre des décors, Angelin Preljocaj a fait appel à la plasticienne pluridisciplinaire Prune Nourry, passionnée de bioéthique et d’anthropologie. Entre visible, invisible et exploration tant du dehors que du dedans de l’espace, ici scandé de guindes à dimension anthropomorphique, ses installations, sculptures, performances et films traversent une intimité bouleversée.

Dans une vision holistique, elle interroge la puissance cathartique de l’art, la sérendipité et la résilience. Rencontres croisées avec le chorégraphe metteur en scène et la scénographe d’Atys.



Les noces entre Eros et Thanatos qui marquent cette tragédie en musique sont aussi explorées par nombre de vos créations chorégraphiques, dont votre ballet, Roméo et Juliette.

Angelin Preljocaj: Atys se présente comme une version encore plus noire et dure qu’un Roméo et Juliette. Dans l’intrigue shakespearienne, ce qui cause la mort des deux principaux protagonistes et amants est un simple courrier mal acheminé. Soit la lettre de Juliette à Roméo. Elle lui révèle avoir absorbé un faux poison qui lui donne l’apparence de la mort, tout en lui assurant qu’elle se relèvera pour leur permettre de se retrouver. Evidemment la missive ne parvient jamais à Roméo. Qui retrouve son aimée la croyant morte. Il se suicide alors avant que la jeune femme ne se réveille.

Contrairement à ce hasard du destin, Atys pose l’histoire d’un roi élu et d’une déesse, Cybèle, décidant sciemment de provoquer, par le bras d’Atys, la mort de Sangaride amoureuse du jeune homme. C’est une sorte de quasi-Roméo et Juliette inversé que j’avais envie de mettre en jeu dans le spectacle et la dramaturgie.

Il y est question d’emprise, de déprise et de lâcher-prise somatique.

Angelin Preljocaj: Oui. La scène du songe se situe au centre du divertissement du troisième acte. C’est la déesse Cybèle qui plonge Atys dans ses songes pour lui révéler son amour. Le héros trouve alors un penchant. Dont on se sait s’il le repoussera ou l’acceptera au détriment de Sangaride.

Les aspects liés à l’inconscient et au somatique sont essentiels dans cette tragédie lyrique.

Quelle est votre vision du personnage d’Atys?

Angelin Preljocaj: C'est le premier opéra de l'histoire, dans lequel le héros meurt sur scène. Ceci avant d'être transformé en pin par Cybèle. On retrouvera par ailleurs beaucoup dans cette création le thème du double et de la gémellité qui m’est cher. Il existe en permanence cet effet de miroir développé par les danseurs.

Ce sont en même temps des ombres, des reflets et des expressions de la pensée des personnages du drame. Cela donne une forme de caisse de résonance à la dramaturgie des protagonistes.

Est-ce que Cybèle et Sangaride sont deux forces énergétiques en présence?

Angelin Preljocaj: Assurément. C'est une sorte d'opposition entre Ying et Yang. Mais à la fois Atys et Sangaride sont le jouet des désirs de deux puissants. Cela nous ramène à des questions très contemporaines. Que l’on songe au mouvement MeToo aux Etats-Unis et son équivalent en France. On y a dénoncé des abus de pouvoirs de personnes tenant les mannettes de la société. Ne manipulent-elles pas dans leurs mains des êtres pour en abuser? Finalement Atys et Sangaride s’aiment tout en étant le jouet de l’amour des puissants que sont le souverain Célénus et la déesse Cybèle.

Quelle est l’atmosphère du spectacle?

Angelin Preljocaj: Nous sommes plongés au cœur d’un rituel atemporel. Avec la scénographie signée Prune Nourry et les costumes imaginés par Jeanne Vicérial, on aurait même du mal à situer la fable historiquement dans le temps. Et identifier géographiquement le lieu de ce drame. On est dans une intemporalité permettant l’universalité. C'est là un aspect intéressant de la démarche.

Comment abordez-vous le corps?

Angelin Preljocaj: Le corps des danseurs comme celui des chanteurs sont là pour créer une sorte de métalangage qui complète la poésie du texte de l’auteur du livret, Quinault. Cette poésie magnifique se déploie dans le chant. Très impliqués, les corps sont là pour littéralement donner corps à cette syntaxe qui se déploie à merveille.

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