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Danse en perpétuelle métamorphose

Publié le 13.03.2025

Figure incontournable de la danse contemporaine suisse, Marie-Caroline Hominal développe une démarche artistique fondée sur la collaboration et la remise en question des formats scéniques.

À travers quatre pièces présentées en Suisse romande, elle affirme une présence forte et historique sur les scènes de la région.

Avec Hominal/Xaba (2019), présenté du 13 au 15 mars au Théâtre de Vidy, l’artiste poursuit sa recherche en dialogue avec la chorégraphe sud-africaine Nelisiwe Xaba, développant une réflexion sur l’identité, le genre et le post-colonialisme.

Sa nouvelle création Numéro 0/scène III (2025) est à découvrir à L’Arsenic (Lausanne), du 27 au 30 mars après ses premières dates au Pavillon ADC (Genève).

Repoussant encore les limites des formats performatifs, l’œuvre propose une immersion chorégraphique éclatée en micro-récits, comme des ritournelles, sur une musique originale percussive et atmosphérique, jouée en live.

Conçu comme un plateau cinématographique, le spectacle invite le public à partager le même espace que les interprètes, découvrant des séquences brèves et éphémères. Portée par une énergie pulsatile, cette pièce explore le mouvement comme mémoire et trace, affirmant encore une fois l’esthétique insaisissable et en mutation constante de l’artiste.

Puis, Hominal/Hominal (2023) est à l’affiche de La Comédie de Genève du 3 au 5 avril, elle engage un face-à-face artistique avec son frère, le peintre David Hominal. Dans cet espace saturé de couleurs et de textures mouvantes, la danse et la peinture s’entrelacent, déconstruisant gestes et postures dans un processus d’accumulation et de réinvention. La pièce révèle ainsi une écriture chorégraphique où se confrontent sensible et abstraction.

Pour Hominal/Öhrn (2018), programmé au Théâtre de Vidy du 8 au 10 avril, elle s’associe au plasticien suédois Markus Öhrn pour une autofiction post-mortem.

La pièce met en scène le retour grotesque et sanguinaire d’une aïeule opprimée par le patriarcat, interrogeant les archétypes féminins avec une ironie cruelle, oscillant entre possession mystique et satire sociale.

Ce projet marque le début d’un triptyque où Hominal explore les croisements entre disciplines et l’effacement des identités scéniques.

Entretien.



Le titre de votre dernière création, Numéro 0/scène III, intrigue. Que signifie-t-il?

Il fait référence aux premières éditions tests dans le monde de l’édition. Ce projet s’inscrit dans une démarche au long cours, menée avec une quinzaine d’interprètes et intégrant une dimension de performance-happening.

J’ai voulu travailler avec de nombreux artistes, notamment les musiciennes Simone Aubert et Alexandra Bellon, ainsi que le musicien Salomon Asaro Baneck, qui participent activement à la performance.

Cette pièce explore les ensembles dansants, le corps de ballet et l’énergie collective. Elle repose sur la force du nombre, un élément fondamental de cette création.



Votre pièce est construite sur des micro-récits dansés. Comment avez-vous pensé l’espace scénique?

Oui, j’ai imaginé un studio de cinéma à ciel ouvert, un espace partagé et reconfigurable. Il comprend une zone dédiée à la répétition et à la boucle de scènes théâtrales et un autre espace consacré à des formes expressives proches du happening.

L’espace scénique est fragmenté en multiples scènes, où chaque interprète suit un parcours singulier. Par moments, ces trajectoires se croisent, créant des instants de rencontre entre les danseurs et danseuses.

Une image pour résumer Numéro 0/scène III?

Je dirais une fourmilière en mouvement, une organisation où chacun suit un chemin propre, mais où tout s’imbrique dans une dynamique collective.

Vos pièces dialoguent souvent avec l’histoire de la danse. Comment cela se manifeste-t-il ici?

J’aime explorer les différentes configurations rythmiques et énergiques de la danse: solos, duos, trios, quatuors, mais aussi danses en ligne, catwalks, parades et ensembles.

Parfois, des sauts rappellent ceux du corps de ballet, bien que retravaillés. Je crée souvent en solo, en duo ou en trio, mais Numéro 0/scène III m’a offert l’opportunité unique de travailler avec des ensembles.

J’y développe des structures chorégraphiques démultipliées, questionnant la manière dont un corps peut entrer dans la danse.

J’ai toujours été fascinée par les ensembles et la comédie musicale, et cette pièce me permet d’explorer ces univers, notamment à travers différentes formes de marches.

Qu’est-ce qui unit ces scènes et expressions dansées?

C’est l’énergie vibratoire et rythmique qui les relie et les traverse. Le public est d’abord placé autour du plateau, qui est recouvert d’un tapis blanc immaculé.

J’aime l’idée d’un espace partagé entre interprètes et spectateurs.

Dans la seconde partie, il y a un basculement du rapport scène-salle, mais le contact et la porosité avec le public restent essentiels.





Comment s’articule la structure du spectacle?


Les premières scènes du spectacle sont toutes nommées Fragments. Le public est placé tout autour des interprètes, mais sans déambuler. Cette configuration favorise la création de petits îlots chorégraphiques et performatifs.

Si la première partie de Numéro 0/scène III évoque la performance, la seconde s’oriente vers la représentation. Des numéros et tableaux dansés individuels sont présentés, et le public est invité à les évaluer.

À ce moment-là, le spectacle prend en compte la présence du quatrième mur, mais explore également des éléments relevant du paysage chorégraphique, performatif et musical, vécu dans un rapport plus frontal et contemplatif.

Vous avez construit un triptyque avec Hominal/Öhrn, Hominal/Xaba et Hominal/Hominal. Pourquoi ce choix?

J’aime l’idée de série et de répétition. La répétition est au cœur de ma démarche chorégraphique et performative.

En réalité, je recycle et rejoue constamment des mouvements et gestes. C’est une manière pour moi d’explorer le temps et la mémoire du corps.

Sur Hominal/Xaba...


Nous avons suivi une partie de nos études en danse à Londres. Bien plus tard, j’ai mené une immersion chez la chorégraphe et performeuse Nelisiwe Xaba à Johannesburg pour nourrir cette collaboration.

La pièce joue sur des motifs issus de la mode et de la culture populaire, notamment en s’appuyant sur des tutoriels de danse pop en ligne des années 2000, dont la k-pop sud-coréenne, ses ondulations du corps et ses mouvements robotiques.

Nous explorons des gestes et motifs issus de cultures différentes, parfois appropriés, transformés ou répétés par la machine. Le textile joue un rôle essentiel dans la scénographie de la pièce, notamment avec le tissu wax et l’image du labyrinthe.

L’histoire de ce tissu vous a intéressée.

Ce tissu possède une histoire fascinante, marquée par des influences internationales et une appropriation culturelle qui en a fait un symbole identitaire en Afrique.

Son origine remonte au XIXe siècle, lorsque les colons néerlandais se sont inspirés des techniques de batik indonésiennes. Fabriqué avec une teinture par réserve à la cire (« wax »), il permet d’obtenir des motifs colorés et uniques.

Il est question de maillage...

En compagnie de Nelisiwe Xaba, s’est affirmée la volonté de travailler sur le camouflage par le biais d’un véritable shoot de couleurs.

Telles des tisserandes, nous entrelaçons des fils de laine multicolores pour créer une toile d’araignée immersive. La couleur est un réservoir d'énergie inépuisable, dans lequel le public est invité à se perdre.

L’utilisation de tutoriels de danse répond à notre interrogation commune sur la construction du mouvement. Il nous a semblé passionnant de reprendre des vidéos chorégraphiques pour les réinterpréter et les refigurer.





Aux côtés de David Hominal, se développe une rencontre en danse et arts plastiques.

Inviter mon frère plasticien pour Hominal/Homimal (notre deuxième collaboration) prolonge ma réflexion sur la création collective.

Côté danse, j’explore la répétition et le collage gestuel, en y intégrant une distance critique, de l’autodérision et une touche d’absurde.

David Hominal signe une scénographie dominée par le rose. David m’a encouragée à travailler la lenteur et la répétition. Mais aussi à danser entourée de peinture, une expérience forte qui m’a donné confiance en cette lenteur.

Une autre dimension de la pièce?

Nous avons voulu explorer les jeux d’ombres. Mon ombre projetée sur les parois peintes transforme les peintures en écrans vibrants, en perpétuel mouvement. Avec David, nous avons conçu cette pièce ensemble, lui travaillant le mouvement et l’espace pendant les répétitions. La danse s’est nourrie de ses peintures, en termes d'énergie, de rythme et d’espace.

La poétesse française Renée Vivien accompagne Hominal/Öhrn...

L’écrivaine s’inscrit dans un mouvement de femmes féministes de la fin du XIXe siècle s’habillant en peaux de serpent.

Renée Vivien voyait Satan comme un libérateur permettant à la femme de goûter au fruit défendu biblique de la connaissance*. Sataniste, Renée Vivien (1877-1909) a imaginé plusieurs poèmes en hommage à Lucifer et dirigés contre le christianisme de son temps.

Le poème en prose est extrait de Brumes de Fjords (1902) et s’appelle La Genèse profane. C’est une écriture de l’invisible et du mystère avec des créatures mythologiques.

Une autre référence?

On peut aussi penser avec cette pièce au Sex Pictures (1992) de la photographe et performeuse américaine Cindy Sherman.

C’est une série controversée et fascinante qui s'inscrit dans la continuité de son travail sur l’identité, la représentation et le grotesque. Ceci en créant des scènes de sexualité explicite, mais déshumanisée grâce à des mannequins et des prothèses.

En résumé, le spectacle?

Ce duo avec Markus Öhrn questionne la figure de l’auteur ainsi que le travail sur les rapports de pouvoir et un brin sadomasochiste. Ici, je choisi de me glisser dans son imaginaire, son esthétique et de me mettre à son service en lui ayant donné carte blanche.

J’ai abandonné l’acte de création et l’acte chorégraphique à Markus Öhrn**. Au final, une question demeure: Qui est l’auteur, et de quoi?

Votre vécu pour ce spectacle?

J’ai vécu cette création comme une traversée océanique, portant le corps d’une femme âgée. En 2018, ce personnage de fiction a rencontré ma propre vie: j’avais accouché peu avant la création. Le spectacle oscille ainsi entre la fiction et l’autobiographie, tissant un lien intime entre mon expérience et la scène.

Propos recueillis par Pierre Siméon

Hominal/Xaba
Du 13 au 15 mars au Vidy Théâtre - Lausanne
Informations, réservations:
https://vidy.ch/fr/evenement/hominal-xaba/

Numéro 0/scène III (2025),
Du 27 au 30 mars à L’Arsenic (Lausanne)
Informations, réservations:
https://arsenic.ch/spectacle/marie-caroline-hominal-numero-0-scene-iii

Hominal/Hominal (2023)
Du 3 au 5 avril à La Comédie de Genève
Informations, réservations:
https://www.comedie.ch/fr/hominal-hominal

Hominal/Öhrn (2018)
Du 8 au 10 avril au Vidy Théâtre - Lausanne
Informations, réservations:
https://vidy.ch/fr/evenement/hominal-ohrn/



*Voir Per Faxneld, Satanic Feminism: Lucifer As the Liberator of Woman in Nineteenth-Century Culture, Oxford University Press, 2017

** Markus Öhrn est un artiste visuel travaillant la vidéo, les installations sonores et la performance. Il participe à la création de Conte d’amour, découvert au Festival d’Avignon en 2012 et présenté à La Bâtie. Trois heures de performance scénique proche du conte imaginaire suivant la séquestration par un père dérangé, infantile et tortionnaire de deux fils et une fille qu’incarne un comédien transgenre. Conte d'Amour est ensuite devenu le premier volet d'une trilogie qui comprenant We Love Africa and Africa Loves Us (2012) et Bis zum Tod (2014).

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