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Films cultes et musique live à l’Alhambra

Publié le 06.03.2018

 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le cinéma muet n’a jamais été apprécié en silence mais toujours accompagné de musique live et de bruitage. Bien que la mémoire vivante de ce cinéma se fasse rare, les œuvres persistent grâce à des travaux de conservation et elles sont régulièrement l’objet de redécouvertes. Ce sera le cas le 17 mars à l’occasion d’une soirée organisée à l’Alhambra par le Festival Archipel, attaché aux musiques actuelles. Deux ciné-concerts nous replongeront dans l’expérience de ce cinéma muet.

C’est tout d’abord le film colorisé à la main de 1914 Maudite soit la guerre qui sera présenté, accompagné par la pièce A Film Music War Requiem de l’autrichienne Olga Neuwirth jouée par l’Ensemble 2e2m sous la direction de Pierre Roullier. Ce mélodrame pacifiste d’Alfred Machin sorti à la veille de la Première Guerre Mondiale marque la participation du Festival à la commémoration de l’armistice de 1918.

Suivra une projection du culte Metropolis (1927) de Fritz Lang. Considéré comme le premier film de science-fiction, il a été totalement absorbé par la pop culture au point où nous lui trouvons des références à peu près partout, du robot C-3PO de George Lucas au clip Express Yourself de Madonna. Le duo Actuel Remix a profité de la redécouverte de sa version longue au début des années 2010 pour lui composer une nouvelle bande son aux accents électro mêlant des samples de deux artistes aux opposés du spectre musical: le compositeur de musique contemporaine Iannis Xenakis (1922–2001) et le DJ électro Richie Hawtin.

Xavier Garcia (laptop, sampler et composition) forme la moitié d’Actuel Remix. Il montera sur scène pour plus de deux heures de musique live et éclairera ce classique du film muet d’une lumière toute particulière. Rencontre avec le compositeur.

 

À l’occasion de ce ciné-concert, vous accompagnerez la projection du film Metropolis avec un morceau qui date de 2012 créé avec Guy Villerd dans le cadre de votre duo Actuel Remix. Pouvez-vous nous parler de la démarche de ce groupe?

La spécificité d’Actuel Remix tient au fait que nous nous intéressons à chaque fois à un musicien contemporain et à un auteur de musique techno que nous rassemblons. C’est vraiment le mariage de la carpe et du lapin car ces deux mondes se rejettent habituellement, en tout cas socialement. Le public de la musique classique et contemporaine n’est évidemment pas le même que celui de la techno. Guy Villerd et moi sommes des gens d’origines musicales très différentes. Je viens de la musique contemporaine, électro-acoustique et lui est un jazzman avec une grande culture techno qui aime autant la musique type free jazz d’Albert Ayler que la techno la plus pure. Nous avons donc des influences et des envies diverses et nous voulons les mélanger. Nous pensons qu’il existe un territoire commun au contemporain et à la scène électro.

 

En quoi Metropolis, ce film culte de la science-fiction, a-t-il attisé votre curiosité?

Actuel Remix #1 Metropolis est notre premier opus et nous avons choisi de travailler sur la musique d’Iannis Xenakis et de Richie Hawtin en faisant subir un traitement à la musique du premier afin de la mettre en tempo. Les échantillons sont traités, modifiés et intégrés dans un moteur rythmique qui est celui de la techno de Richie Hawtin.

Metropolis est un film ancien qui parle du futur tout en traitant de rapports sociaux de manière très actuelle. On y trouve le thème de la lutte des classes où le pouvoir est entre les mains d’une élite et qu’une masse de travailleurs se trouve littéralement sous terre. Il y quelque chose de similaire entre la rencontre de la musique «ancienne» de Xenakis et la techno plus actuelle de Hawtin et notre redécouverte moderne de ce film vieux de cent ans. C’est aussi un film fantastique, magnifiquement filmé qui présente un jeu d’acteur fascinant. Nous avons débuté ce projet car Guy Villerd a découvert la sortie de la nouvelle version quasi intégrale du film dans laquelle des scènes coupées avaient été réintégrées. Le long-métrage faisait maintenant deux heures et demie, une telle longueur était une occasion en or de créer une nouvelle version musicale.

 

 

Vous mêlez donc la musique d’Iannis Xenakis et de Richie Hawtin. En quoi ces deux artistes fonctionnent-ils bien ensemble?

On ne savait pas si ce serait le cas avant de démarrer le projet. Cela paraissait délirant de mélanger du Xenakis à de la musique techno, c’est antinomique. On se dit que l’un va forcément abîmer l’autre. Bien sûr, Xenakis n’était pas un musicien de techno ni de musique rythmée, tout au contraire. C’était un musicien du timbre. Ce que l’on a découvert est que son énergie, sa force et sa sauvagerie restent absolument intactes même mises au tempo de Hawtin. C’est peut-être lié à la distance que nous avons par rapport à la musique de Xenakis qui était un compositeur de la fin du XXe siècle. Nous avons aujourd’hui le recul suffisant pour le mettre dans un autre contexte.

 

Séparément, qu’apportent-ils ?

Pour moi, la force et la vitalité de la musique de Xenakis font écho à l’action du film et à sa violence. Sa musique va dans ce sens, dans le côté dramatique et puissant du film. Ce qu’apporte Richie Hawtin c’est un moteur, la pulse de sa techno fait que l’on avance. La musique rythmique nous fait percevoir le temps de façon différente, de manière cyclique à travers la répétition par exemple. En l’occurrence, le rythme nous donne l’impression d’avancer grâce à son rôle de moteur qui nous emmène et nous fait traverser cette histoire. En jouant ce ciné-concert, on a l’impression de conduire un gros bateau. Hawtin amène aussi un côté très actuel et contemporain qui nous fait lire les images autrement.

 

La bande originale de Metropolis était jouée par un orchestre symphonique, vous proposez donc quelque chose de drastiquement différent. La musique a-t-elle le pouvoir de changer une œuvre?

Quand nous jouons cette pièce, des gens qui connaissaient le film viennent souvent nous voir pour nous dire qu’ils l’ont redécouvert à travers notre musique. Elle apporte un éclairage très contemporain et le met dans un autre bain. C’est comme si on le faisait tremper dans un autre colorant. Le côté contemporain lié à la techno permet une mise en situation et en perspective différente de ce film. En le regardant avec la musique originale, on est replongé dans l’époque très expressionniste où la musique se devait de souligner absolument tout. La composition originale est dramatique et verse facilement dans le pathos. C’est normal, à cette période le musicien devait «prendre en charge» le scénario et exprimer les sentiments des acteurs. Nous avons aujourd’hui un regard plus historique et un point de vue d’esthète sur ce film. Nous prenons de la distance et la musique électro minimale nous permet de laisser l’image respirer et parler d’elle-même. Il y a une différence de densité entre la composition originale – très belle mais bavarde – et la nôtre.

 

Propos recueillis par Jessica Mondego

 

Maudite soit la guerre et Metropolis, deux ciné-concerts dans le cadre du Festival Archipel le 17 mars à l’Alhambra de Genève.
Informations et réservations au +41(0)22.329.42.42 ou sur le site www.archipel.org

Au programme de cette soirée

20h00 - Maudite soit la guerre (1914) d’Alfred Machin accompagné par A Film Music War Requiem (2014) d’Olga Neuwirth.
21h30 - Metropolis (1927) de Fritz Lang accompagné par Actuel Remix #1 Metropolis (2012) de Xavier Garcia et Guy Villerd.

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