Karim Slama, sauce remix interactive
Fort d’une large palette d’écritures, l’artiste fait partitions de tous genres. Ainsi au Théâtre des Marionnettes de Genève, sa compagnie a imaginé en ce mois de novembre, le savoureux Smala. Pour des interprètes devenus luminaires éclairant une histoire de famille recomposée.
Mais c’est L’Evadé, mis en scène par Robert Sandoz, qui favorise le sentiment rare d’un avant K. S. et d’un après K. S. Ainsi soit-il un dessinateur au corps en berne et à la conscience à vif. Si le pitch s’inspire lointainement du bestseller puis film, Le Scaphandre et le papillon, notre ludion cisèle une performance bondissante pour tenter d’interpeller ce qui reste d’humanité à son chevet. Le combat pour la survie passe aussi par le rire pétri d’émotion et d’étrangeté. Rencontre avec un homme-orchestre et caméléon.
Pourquoi faire archive de vous-même dans ce spectacle?
Karim Slama: Au fil de mes créations, j’essaye toujours d’être au service de la narration. Depuis Titeuf le pestacle (2016), je me base d’abord sur la dramaturgie. Le jeu, l’écriture et la scénographie doivent alors se mettre à son service. Si tout va dans le sens de l’histoire racontée au plateau, cette dernière est toutefois marquée par la recherche d’effets innovants et beaux comme pour La Smala.
Sur le chemin de ce Karim Slama fête…, l’un des jalons est mon Best of à La Carte (2017).
Mais de nombreux éléments ont ici évolué. Dans un sens disons plus noble théâtralement parlant. Ainsi côté costume et scénographie ainsi que son et interactivité en dialogue actif avec des spectactrices et spectacteurs impliqués dans le déroulement de ce qui se passe sur scène.
Des One Man Show développés de 2006 à 2016. A l’origine, j’écrivais un brin comme un adulescent. Puis tel un jeune papa. Désormais père d’un adolescent de 19 ans, cela change passablement le regard sur certaines situations. De plus, j’ai écrit ce spectacle du vivant de mon père, alors qui ne l’est plus. A mes yeux, si quelques sketches peuvent perdre de leur acuité au plan personnel, ils se transforment aussi avec le recul que permet le temps.
De nos jours, le débat est polarisé autour de la thématique de l’appropriation culturelle que j’invite tout le monde à faire. A mes yeux, Il est aussi question de l’énergie à mettre dans un spectacle. Très démonstratif à mes débuts de trentenaire, je suis devenu à la cinquantaine possiblement plus nuancé, modulé dans le jeu.
Exactement. Je m’auto-plagie. Mais à des âges, sensibilités, expressions et formes toujours différentes. A ce titre, l’écriture pour des réalisations vidéo courtes avec leurs variations de types de plans, d’adresses et de rythmes, sont très exigeantes et me plaisent beaucoup. Ainsi MONSIEUR, ma websérie pour la RTS avec un sabir ou du grommelot. Elle est accompagnée de la voix off de Catherine Guggisberg.
Je m’y amuse d’une star du mime (sans paroles donc) perdant confiance en lui. Une réalité que l’artiste que je suis a plusieurs fois traversée, se demandant s’il se ringardisait. Le personnage de Monsieur permet donc de m’interroger: «Suis-je encore à ma place?». Alors que le spectacle à l’affiche du Crève-Cœur est celui où je me construis. De la jeunesse à la maturité.
Il est d’abord issu d’un spectacle qui s’est préparé pendant une année et demie. Ceci en alternant maturation, rencontres et périodes intenses de travail avant la première. Ainsi la préproduction sonore demande un temps considérable dans l’écriture. La Linea, feuilleton animé de la tv italienne des années 70, était naturellement présent comme source d’inspiration. Toutefois ce personnage sans paroles de MONSIEUR s’était déjà développé au gré de mes créations. Ainsi mon Best of comprend deux sketches avec cette figure. Durant le confinement, il a été demandé à des humoristes romands d’amuser les téléspectateurs à travers l’émission "Rire, c’est bon pour la santé". A mon sens, il y avait une vraie originalité à revenir à ce protagoniste très graphique. Ceci dans une réalisation concrètement faite maison en sursaturant l’image, mise en scène par Marjolaine Minot.
On le retrouve ailleurs...Oui. Il fit une nouvelle apparition dans un clip pour expliquer le retour à l’école dans le cadre du coronavirus aux élèves et qui fut commandé par le département de la jeunesse et de la formation vaudois. Cela aux côtés de Phanee de Pool, Albert le Vert, l’humoriste Blaise Bersinger et le youtubeur Benjamin Friant. Grâce à une bourse du Canton de Vaud, j’ai ensuite pu gagner en autonomie dans le filmage, la réalisation et la diffusion de capsules vidéo. Elles ont servi au spectacle MONSIEUR né en janvier 2022.
Avant votre opus au Crève-Cœur, il y eut une trilogie…J’ai connu un certain ras-le bol après ces trois spectacles – Karim Slama cherche un peu d’attention, suivi de Karim Slama cherche encore un titre pour son spectacle et À part ça, globalement, ça va plutôt bien. Pour mémoire, j’ai eu besoin de la plume de l’humoriste et écrivain italo-suisse Frédéric Recrosio pour co-écrire Karim Slama cherche un peu d'attention (2005), mis en scène par Jean-Luc Barbezat.
Mais au fil du temps, je me suis découvert trop sûr de mes effets. Et cette impression, tenace, de devenir chiant pour moi-même. Soit ne pas se renouveler, ne plus prendre de risques. Bref, être dans un confort. Ainsi le troisième opus fut mon dernier One Man Show. En revanche, tous mes sketchs ont bel et bien continué à exister. Que ce soit par des soirées de gala ou privées.
Coup de blues?
Non. Il est plus intéressant de ne pas être uniquement dans l’application laborieuse d’un sketch pour être drôle à tout prix. Mais bien plutôt de regarder, avec le public, le comédien qui s’essaye à être drôle. De fait, le plaisir de la représentation et de ce regard amusé, distancié n’ont jamais disparu chez moi.
Je suis très fier de ce spectacle créé en 2018. Ce fut l’occasion d’explorer et mettre en corps expressif les capacités imaginatives d’un homme complètement paralysé et enfermé dans son propre corps. J’incarne une forme de lutin favorisant la création d’univers imaginaires chez cet être qui entend tout des conversations autour de lui venant des médecins, infirmières ou proches.
Cherchant une forme d’évasion notamment de ma figure estampillée humoriste, j’ai pensé à l’époque à un personnage enfermé. C’est le film marquant Le Scaphandre et le papillon qui m’a fait découvrir le lockded-in syndrome*. Du coup, on est très loin ici du stand-up.
En considérant rétrospectivement mes créations depuis Titeuf, le pestacle (2016) d’après l’univers de Zep, il s’agit toujours d’un personnage enfermé dans un monde à lui. Il cherche alors à s’en échapper, d’une manière ou d’une autre. C’est ce que j’ai écrit au plan dramaturgique de Titeuf. Il s’agit d’un enfant ayant le sentiment qu’une main invisible décide de sa destinée avec un crayon magique.
Propos recueillis par Bertrand TappoletKarim Slama fête ses vingt ans avec un an de retard!
Du 16 novembre au 11 décembre au Théâtre Le Crève-Cœur à Cologny
De et avec Karim Slama
Informations, réservations:
https://lecrevecoeur.ch/spectacle/karim-slama-fete-ses-20-ans-avec-un-de-retard/
*Suite souvent à un AVC, la personne est éveillée et consciente, mais ne peut ni se mouvoir ni parler tout en étant néanmoins capable de cligner des paupières pour dire oui ou non, ndr.