Les gens sont fous, les temps sont flous
Steven Matthews ne cache pas que sa nouvelle création navigue en eaux troubles. Entre avis irréconciliables des uns et des autres, le débat est dans la place. Il y a des choses que l’on ne peut plus dire - certain-e-s s’en réjouissent, d’autres le regrettent.
Ce spectacle s’articulera autour d’une réunion entre parents et encadrants d’une structure pré-scolaire. Il sera question d’une petite fille. De mettre de l’humour absurde un peu partout, et de mettre de la distance sans s’éloigner du sujet.
Alors, Steven Matthews, mission impossible? Comédie impossible?
Quel est le détonateur de ce spectacle?
Steven Matthews: Des petits événements qui m’ont marqué, comme l’intensité des réactions négatives au sketch de Claude-Inga Barbey en 2021*, un événement médiatique que je ne comprenais pas. Cela m’a mis la puce à l’oreille. 15 ans auparavant, ce phénomène n’aurait pas été possible, tant il était admis qu’un gag n’était rien de plus qu’un gag.
L’offense a toujours existé, tout comme les humoristes qui testent les limites des susceptibilités - ce n’était pas le cas du podcast de Claude-Inga Barbey. L’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo a aussi été un événement extrêmement marquant. Mais au delà, il y un climat qui s’est installé, dans lequel les gens sont plus sensibles.
Est-ce parce que désormais, nous avons toutes et tous accès aux opinions de toutes et tous, et notamment aux plus extrêmes? Je ne sais pas.
Oui. Comme beaucoup, je suis frappé par les crispations autour de cette question. Je ne sais pas si cela est lié à la nouveauté de la thématique au sein du plus grand nombre.
Dans le milieu culturel attendu tolérant dans lequel j’évolue, j’ai un exemple d’une parole maladroite prononcée au mauvais moment qui remet en cause une amitié de longue date. Cela peut vraiment aller trop vite.
D'un côté je comprends qu’il y a des sujets qui ne font plus rire, de l’autre cela me questionne. Je n’ai pas de solution.
Dans votre spectacle précédent, Biais Aller-retour, vous vous intéressiez aux biais cognitifs. Retrouve-t-on ici un questionnement sur le comment du pourquoi de la formation de nos opinions et de leur renforcement?Il y a une continuité. Mais avec La Gènance des Auto-tamponneuses, nous focalisons sur l’existence de tribus morales auxquelles nous appartenons, et aux pensées de groupe qui en découlent. C’est un phénomène qui me fait vraiment peur.
C’est au cœur des discussions des identités de genre. C’est un sujet très délicat...
Et, nous l’avons vu, explosif. Vous avez pris le parti de l’aborder avec des sketches.Par rapport à Biais Aller-retour, ce sera moins un récit, pas une seule histoire. Le principe est d’essayer de voir, en fonction de certaines propositions, qu’est-ce qui se dit, et qu’est qui ne se dit pas ou plus. Et de le faire en chansons, car, oui, c’est une comédie musicale.
Quel sera la situation de base?L’action se déroule dans une crèche dans laquelle une petite Jeanne semble avoir une identité de genre floue. Le premier noeud est que la mère est fâchée par les nouvelles pratiques de la crèche, qui mentionne des parents Un et Deux au lieu de papa et maman.
Nous aurons une sorte de colloque animé par deux journalistes, avec des professionnels de la petite enfance, des parents, des personnalités et des points de vue très stéréotypés, inclusifs ou pas, différentes formes de féminisme… Et des sorties de ce cadre qui permettent de découvrir un personnage dans un autre contexte, flash-backs, fast-forwards!
Non. Mon constat est que l'argumentation, ce n'est pas très théâtral! Cela devient même vite très ennuyeux. En revanche, le conflit est très théâtral. Tout cela nous a éloigné d’une forme de spectacle dans lequel le public aurait découvert un personnage qui se serait dirigé vers un objectif clair.
La trame de La Gènance des Auto-tamponneuses est plus floue. Cela pourrait être la fragilité de cette création, mais cela sera rythmé et assez comique.
Pour faire court, disons que nous allons essayer de déconstruire les discours des uns et des autres, et d’insuffler un peu d’absurde.
Autour de ces notions de genre, si on va plus loin, il me semble qu’on en revient toujours, dans le cadre plus large de l’éducation, à ce qui de l’ordre de l’inné ou de l’acquis. Quels choix, quels comportements sont d’origine biologique, lesquels se construisent socialement?
Vous avez travaillé dans le milieu de la petite enfance, en crèche. Qu’en retirez-vous?Je crois qu’on attribue à l’éducation un pouvoir plus grand que ce que ce qu'il n’est. Entendons-nous, l’éducation est extrêmement importante, tout le monde est d’accord là-dessus. Mais pour ce qui est de moduler la personnalité d’un enfant, j’en suis beaucoup moins sûr. Il a déjà sa personnalité. Il est déjà ce qu'il est.
Je suis assez confus, mais je crois que c’est une idée qui fait aujourd’hui un peu peur. … Il y a un truc, un truc qui joue pas là. On est dans une époque très bizarre à ce niveau là.
La Gènance des Auto-tamponneuses
Du 12 au 24 novembre 2024 au Théâtre du Loup, Genève
Steven Matthews et Cécilia Olivieri, texte - Cie Don't Stop Me Now
Avec Félicia Baillifard, Gaspard Boesch, Anne-Shlomit Deonna, Salma Gisler, Lorin Kopp, Lilas Morin, Aziz Ouedraogo et Mirko Verdesca
Informations, réservations:
https://theatreduloup.ch/spectacle/la-genance-des-auto-tamponneuses/
*Le 21 mars 2021, dans le cadre d’une série de vidéo humoristique «Toc! » mise en ligne sur le site du quotidien Le Temps, l’épisode «Une euphorie de genres» provoque de vives réactions.
Toujours dans Le Temps, une lettre ouverte signée du Collectif Radical d’Action Queer mentionne: «Toutes les identités de genres sont valides, et elles ne sont en aucun cas un sujet de moquerie. Ces discriminations, tout juste déguisées en railleries des personnes transgenres et non-binaires, qui visent à ridiculiser et effacer nos vécus et expériences, relèvent de la transphobie et de l’enbyphobie.» (Extrait).
En décembre, un autre sketch de l’humoriste est jugé raciste sur les réseaux sociaux.Dans la foulée, Claude-Inga Barbey met un terme à sa série de vidéo et se retire des réseaux sociaux. Elle commente à la RTS: "Je n'ai plus le temps pour me battre contre ce que je ne comprends plus vraiment "