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Suspense mélancolique avec Aeroflot

Publié le 31.05.2021

 

Aeroflot est de ces hybrides des musiques électroniques qui mettent en orbite mélopées et nappes phréatiques groovy à vous dépressuriser l’écoute. À savourer dans le cadre du Festival Les Athénéennes, le 5 juin à l'Alhambra. Le flow est à la fois en terminal incantatoire et dancefloor. Entre le cockpit de composition de niche et le mainstream du vol lounge pour faire onduler son petit corps astral, le duo genevois forme de POL - instrumentarium avec synthé, rhode vintage, ordi… - et Goodbye Ivan - chant et basse en live - a décidé de ne se laisser dérouter de son plan de vol par quelques Mig-29 du convenu et de l’attendu. Pour notre plus grand bonheur.
Leur dernier album,
Cruise Control, subsume les voix fécondes ouvertes par POL. Celles d’effluves trip-hop techno ambient aussi puissamment expressives que sporadiquement déchirées d’orages grunge. À bord de l’aéronef polyvalent d’Aeroflot, l’électronicien du bout-du-lac sait aussi faire décoller une rythmique minimaliste digne du compositeur new-yorkais Steve Reich ou d’Ennio Morricone pour la musique originale du film The Thing de John Carpenter. Goodbye Ivan, lui, nimbé de sa melancholic folktronica tresse des balades sensibles, où plus rien ne vient contrarier l'émotion en pure présence. Autant de variations autour du voyage en avion. Des amours portés disparus par la longue distance avec l’hypnotique Witnesses à la carlingue d’un coucou abandonné sur une plage de sable noir islandaise pour le subtilement dansant Sholeimasandur. Escale avec POL, sourcier électro fan de science-fiction.

 

Sur la pochette de l’album Cruise Control, qui ressortira en vinyle à la fin de l’année, on voit…

POL: Un avion d’Aeroflot crashé ou enseveli au cœur d’un manteau neigeux dégageant un sentiment d’étrangeté, bien avant la grounding pandémique imposé au gros de la flotte civile. Passé sous nos écrans radar, l’auteur de la photo est toujours activement recherché pour le créditer.
Par ailleurs, jusqu’à une période que tout le monde connait, je voyageais beaucoup de par le monde en transports ailés comme mon binôme, Goodbye Ivan. A force d’emprunter et contempler avions et aéroports, pourquoi ne pas en faire un thème, d’abord d’album, puis de groupe? Le nom Aeroflot est magique. Il véhicule l’image d’une antique compagnie aérienne (n.d.l.r.: l’une des premières au monde, née en 1923) dont la longévité étonne, et la dimension de flottaison, l’idée de flotter. Le premier album est en effet ambiant, éminemment cotonneux.

 

 

Votre première collaboration avec Goodbye Ivan?

Notre rencontre s’est réalisée lors d’une Nuit Lausannoise des Musées pour un set live comprenant plusieurs artistes, remixant nos morceaux réciproques notamment. Multi-instrumentiste, Goodbye Ivan était à l’époque un excellent batteur dans un groupe. Par la suite notre premier album est né à Genève en deux jours pour un concert au Cabinet. Avant le second LP, fruit d’envois croisés à distance de fichiers musicaux.

 

Pour l’espace avionné…

L’imaginaire lié à l’avion traverse souvent la mémoire par le drame. Du 11 septembre à la tragédie atroce qu’est la plus insoluble disparition de l’histoire de l’aviation. Celle du vol MH370. Nous avons créé sur l’album Jetlag Ghost (2015), un titre explicite et poétique, étrange et mystérieux mélancolique et funèbre, MH 370. Ceci en diffusant entre autres des échanges entre un vol au décollage et la tour de contrôle de Kuala Lampur (Malaisie). (n.d.l.r.: le 8 mars 2014, un Boeing 777, le vol malaisien MH370 est porté disparu avec 239 personnes à son bord, qui n’ont jamais été retrouvées).

 

Et au-delà…

Ce morceau est à l’image du concept d’Aeroflot né en 2014: essayer de trouver de la poésie dans ce qui n’en confine guère d’ordinaire, le vol aérien, l’avion comme sensation, vécu et vestige. Au quatrième album, ce thème originel s’avère toujours aussi riche, n’ayant rien perdu de sa force poétique. Ceci notamment au gré de micro-phénomènes telle la pressurisation en cabine, morceau ouvrant l’album Cruise Control. Pressurization mentionne ainsi en anglais les problèmes physiologiques rattachés à cette réalité: hypoxie, mal d'altitude, mal de décompression et barotraumatisme. Si le texte est tiré au mot près d’un manuel, il y a de possibles échos avec certains malaises et vertiges ressentis sous confinement notamment.

 

Le nom de votre formation n’a pas fait tousser les autorités aéroportuaires de la Fédération de Russie?

A l’instar de Pan Sonic qui réunissait le regretté Mika Vainio et Ilpo Väisänen, formation électro à la radicalité introspective bienvenue, ayant dû changer de nom sous la pression d’un grand groupe japonais spécialisé dans l'électronique grand public, nous avons tenté de nous attirer les foudres procédurales de la célèbre compagnie aérienne nationale russe. Ceci au chapitre des copyrights et marques déposées, pour faire le buzz. Sans succès pour l’heure.
En cas de procès, une nouvelle appellation est prête… Airflot(n.d.l.r.: toute ressemblance avec l’ex-mythique groupe versaillais Air naviguant entre l’électro, la pop et le rock psychédélique serait-elle fortuite?). A deux au pilotage d’Aeroflot, nous affectionnons une musique guère réductible à un florilège d’étiquettes et de formules toutes faites pour la baliser. Une manière peut-être de s’affranchir des codes. D’où le fait que je me triture les méninges pour l’évoquer.

 

Lancez-vous «comme un avion sans ailes»…

Aeroflot est par essence un hybride. Nos deux énergies ou tendances se trouvent ici parfaitement mixées. Une énergie plutôt dark urbaine, de mon côté. Une dimension plus atmosphérique, lumineuse dans les parages de Goodbye Ivan.
Les conditions sonores de vol chez Aeroflot devraient être vaguement familières aux fans de Atoms for Peace – (n.d.l.r.: claviers inspirés et voix éthérée de Thom Yorke, tête chercheuse de Radiohead, avec la collaboration des Red Hot Chili Pepper) et Moderat – (n.d.l.r.: le joyau brut de l’électro berlinoise tuilant rythmique catchy et dentelle atmosphérique).

 

Certaines compositions démarrent sur une voix ritournelle apaisée. Ce cluster atmosphérique est parfois émaillé d’attaques distordues, post rock…

Cet aspect sinueux, en boucle, de nappes traversées d’incises plus raides et rock n’est pas si réfléchi que cela. Ce sont les teintes contrastées que nous recherchons dans la musique. À la fois le côté planant, où l’on est en suspension dans l’espace intersidéral, en route vers les étoiles. Et la face sonore de réacteurs de gros porteurs ou jets. Nous adorons ces deux sensations dans la musique. D’où le désir de les poser partout où faire se peut. Ceci sur un champ sémantique encore plus prégnant actuellement embrassant l’aviation, le voyage, l’escapisme, l’envol vers le lointain.

 

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

 

Aeroflot, en concert le 5 juin à l’Alhambra dans le cadre des Athénéennes

Information, réservation, programme complet:
lesatheneennes.ch

Aeroflot. A écouter ICI

Photo POL © Sonia Perego
 

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