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Amour, amitié et collectif

Publié le 04.06.2024

Autour de la comédienne, dramaturge et metteure en scène Lola Giouse, un collectif artistique s’est formé et développé pour réaliser une trilogie pendulant entre théâtre et musique, We’re Here. A savourer du 12 au 15 juin sur l'eplanade de la Buvette Sadara du Bois de la Bâtie, un spectacle hors-les-murs de la Maison Saint-Gervais.

L’ensemble arpente et interroge les liens pluriels tissés entre les êtres par le sentiment et le ressenti amoureux, une amitié indéfectible mais mise à l’épreuve, un sens du collectif. Cette communauté n’est pas que choralité et unisson. Elle n’efface pas les sensibilités singulières et les monologues ouverts sur l’Autre.

Le groupe a pris de l’ampleur au fil des différents volets de We’re Here. En couple pour This is not a Love Song sondant la distance entre les mots et les sensations. Arpentant aussi l’incommunicable dans l’expression et la transmission de l’émotion amoureuse. En quatuor de band musical désaccordé mais compassionnel au détour de Lust for Life. Enfin en apothéose, imaginant la synthèse inquiète avant de trouver sa concorde festive autour de la mise en jeu de chacun.e dans le cadre de True Faith et ses onze interprètes. Echange avec Lola Giouse.



Comment évoqueriez-vous We’re Here?

Lola Giouse: Les deux premiers épisodes sont des pièces qui existent pour elles-mêmes. Ce n’est pas le cas du dernier. Il se joue en relation et lien profond avec les autres. Episodes profondément imbriqués, This is not a Love Song et Lust for Life participent de la même dynamique dramaturgique et d’une temporalité identique. Dès lors, il s’agit bien de raconter une seule histoire. Elle traverse et questionne l’amitié, l’amour et le collectif.



Les mots figent la sensation, le souvenir, le vécu tout en les transmettant dans le même temps. Et la difficulté à dire et à se dire est une composante essentielle du spectacle.

A la racine de cette réalisation en forme de triptyque, il existe cette interrogation: «Est-il possible de raconter ces moments où la vie est si intense qu'elle passe au-delà des mots, quand elle est tout d'un coup sans mot?». Voici le cœur des trois pièces et de la trilogie. A travers les thèmes de l’amour, de l’amitié et du collectif, il est aisé de voir que les mots sont ce qui permet tant le lien que l’invention collection, l’imaginaire.

Parallèlement, le drame voire la tragédie de l’incommunicabilité sont omniprésents tout du long des trois heures que fait We’re Here. D’où l’intense désir d’essayer et de jouir de ce que les mots dessinent et cisèlent comme possibilité de commun.

Comme cela se traduit-il au fil du spectacle?

L’épisode inaugural qui rassemble Géraldine Dupla, Simon Hildebrand, This is not a Love Song gravite autour de cette question: Que peuvent traduire les paroles de l’amour? Ce sentiment n’est-il pas par essence bien au-delà de que l’intellect tente de retenir et saisir? La relation amoureuse est souvent de l’ordre de l’indicible ou de l’ineffable. Mettre en mots le ressenti, c’est délaisser le domaine sensible, organique, charnel pour embrasser la parole. Qui trébuche et doute.

Avec Géraldine Dupla, Simon Hildebrand, Cédric Leproust et Martin Perret, Lust for Life se développe ensuite sur le canevas de l’amitié, de la bande d’ami.e.s, lieu par excellence de l’utopie, de l’attention à l’autre, de la créativité. Ou comment secourir et aider une personne mal en point. Un musicien et compositeur qui a coupé net l’élan pour interpréter live un morceau face public. Les mots peuvent-il s’avérer ici utiles ou pertinents?

Le troisième épisode, True Faith* traverse une tension dialectique que je résumerai ainsi: Faut il faire de l’art ou la Révolution? On se retrouve in fine dans la question du sens de l’art confronté à la problématique des mots et de leurs limites





Dans la bouche de Géraldine Dupla pour Lust for Life, on entend les paroles de la chanson Le beau tambour de l’auteur-compositeur interprète et producteur le plus célèbre de Suisse, Henri Dès, 82 ans aujourd’hui.

Face à une personne qui va mal et se trouve au fond du gouffre, ce moment de chanter-parler correspond à un monologue vient rappeler tous les moments qui font que la vie vaut la peine d’être vécue et est belle. J’aime les listes, ici de choses vécues. Car pour une actrice ou un acteur tout son imaginaire et sa créativité se logent entre des éléments disjoints et disparates comme le souvenir du sable dans les verres, une chanson... 

«J'ai reçu, plan, plan/J'ai reçu un beau tambour/Et je joue, plan, plan/... Et je joue quand il fait jour/
Et quand il fait nuit, et le mercredi...» Par le texte ritournelle d’Henri Dès évoquant un tambour offert par un père à son enfant devenu fou du bonheur de jouer en continu et pour l’éternité, la comédienne tente de réactiver tout ce qui pourrait mettre en jeu et en mouvement le musicien peut-être ankylosé dans une peur indéfinissable ou le doute. Pour moi, l’art est ce qui nous fait assez aimer la vie pour donner envie d’en prendre soin et de se mettre en action en ce sens.

Et le personnage de Fribourg?

Le batteur, percussionniste et compositeur Martin Perret surnommé Fribourg à qui est adressé ce monologue ne veut plus jouer, performer tout en restant mutique. Il forme une présence-absence énigmatique et parfois malaisante. L’homme ne cherche à rien à expliquer de sa situation au plateau et n’est qu’une surface de projection pour les autres protagonistes et le public. Il ne s’agit que d’interprétations de la part de ses partenaires et du public. La dépression n’est-elle pas une absence à soi et au monde? Du coup essayer de la jouer est déjà la dénaturer.

Sur la durée...

Il y a évidemment une condensation temporelle face au défi que représente le fait de sortir ce personnage de son état sur une heure. C’est une situation très forte car celui qui est dans un gouffre fait ressortir chez les Autres un sentiment de vie. Tout le monde se mobilise ainsi pour ne pas céder à cette force d’attraction de l’inaction. Et la contrer. Si chacun des volets de la trilogie ne résout pas une énigme, il dénoue le problème existentiel posé.





Vous accordez une large place aux chansons dont les textes ramènent significativement à ce qui est abordé au plateau.

A mes yeux la chanson - populaire ou non - est un reflet concis et incroyablement juste de nos vies. Ceci notamment avec This is not a Love Song signé Public Image Limited pour le premier volet, Lust for Life d’Iggy pop au détour de la seconde partie. Et pour le dernier épisode, True Faith imaginé par New Order, groupe qui succéda à Joy Division Cette formation donna d’ailleurs le nom à la Compagnie que nous avons fondée, La Division de la Joie.

Pour le dernier volet de la trilogie, vous avez donc choisi la chanson qui lui donne son titre, True Faith. On y entend: «Mon soleil du matin est la drogue qui me rapproche/De l'enfance que j'ai perdue, remplacée par la peur».

Nous faisons partie d’une génération pour laquelle il est difficile d’avoir de l’espoir face au monde actuel et à la crise climatique notamment. Lorsque l’on voit les logiques dominantes à l’œuvre et leurs conséquences délétères comme la destruction de la planète, inviter True Faith, qui dit la vraie foi en le soleil matinal, cela fait sens. S’il est compliqué de cultiver l’espoir au quotidien dans la mise en action, la foi peut venir le remplacer.

La foi n’est pas forcément à envisager dans un sens religieux, mais comme une dimension plus grande que nous. Et dont on ne comprend guère certaines réalités, manifestations et expressions. C’est simplement une forme de confiance en la vie, l’être humain et la beauté. Elle a une part d’irrationnel, mais elle peut mettre en mouvement. On peut la retrouver simultanément dans le fait de faire de l’art et de s’engager dans l’activisme politique.

D’autres paroles encore: «Je me sens si extraordinaire/Quelque chose a une emprise sur moi/J'ai l'impression d'être en mouvement/Un sentiment soudain de liberté».

Ces choses qui viennent à prendre possession de nous, poussant à aller au-delà de soi peuvent nous faire accomplir ce que l’on croyait hier impossible. Ce mouvement peut avoir lieu dans l’amour, l’amitié et le collectif. Ainsi on se découvre des capacités insoupçonnées de soutien face à un ami auquel l’on tient tellement sans savoir que l’on avait une telle force pour le soutenir. La fait d’être amoureux peut aussi nous donner un regard plus ouvert et doux sur le monde. L’action politique, l’art, l’amour et le fait d’être en collectif favorisent la réalisation de soi au-delà de soi. Et se poser des questions avec les autres avec une force redéployée dans l’agir.

Agir, créer, chuter ou déprimer avec la certitude que l’on peut quitter cette vie quand souhaité est une perspective avec laquelle je peux poursuivre. Cela n’a rien de morbide si c’est vécu dans le soin apporté aux autres et à ce qui nous entoure.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet
interview mis en ligne une première fois à l'occasion de représentations du triptyque en septembre 2023 à Vidy


We're Here
Du 12 au 15 juin 
Sur l'Esplanade de la

Buvette Sadara, Bois de la Bâtie (Chemin de la Bâtie 20, Petit Lancy) - Un sppectacle hors les murs de la Maison Saint Gervais 

Lola Giouse, écriture et mise en scène
Avec Géraldine Dupla, Simon Hildebrand, Cédric Leproust et Martin Perret, Mattéo Giouse; Mathilde Aubineau - Anka Luhmann - Enéas Paredes, François Renou: jeu en alternance et Harry dans le rôle de Harry

This Is Not A Love Song
, Lust For Life et True Faith, intégrale de la trilogie We're Here à découvrir en plein air

Informations, réservations:
https://saintgervais.ch/spectacle/true-faith/