Libertés de dire, entre rêves et réalités

Issam Bou Khaled: C’est la douleur et l’incompréhension face à l’une des plus grandes injustices de l’histoire récente. Ainsi nul responsable de cette catastrophe n’a encore été traduit devant les tribunaux. Encore moins jugé et condamné plus de trois ans après le drame. Par ailleurs, le gouvernement libanais s’oppose toujours à une commission d’enquête indépendante sous l’égide par exemple de l’ONU comme le réclament de nombreuses victimes et leurs proches.

En dépit d’un très faible soutien étatique et de fonds privés, les quartiers sinistrés se rebâtissent grâce à la contribution de la société civile, aux ONG et à des écoles d’architecture libanaises. Pour mémoire, ce désastre est le troisième plus important accident non nucléaire de l’histoire.

Ce spectacle a été conçu sous forme de meeting Zoom lors du confinement alors que le pays était quasi-fermé. D’où une réalisation vidéo évoquant cette plateforme devenue incontournable pour échanger des points de vue, témoignages et récits entrecroisés. L’idée est de jouer et moduler sur cette plateforme digitale au plateau, ce qui implique des types d’écritures et une forme narrative spécifiques.

Assurément. L’une des interrogations de ce spectacle est la suivante: Comment le théâtre peut-il contribuer à la réflexion critique sur la société et à la remise en question de ses normes? La pièce aborde ainsi des thèmes sociaux et politiques sensibles tels que les inégalités, les privilèges et les luttes de pouvoir. En Suisse, la création sera complétée d’une partie inaugurale informative et contextuelle sur l’idée du spectacle, le rôle du port de la capitale libanaise et la situation sur place pour les gens qui ne la connaîtraient pas.

L’année dernière vit naitre une autre forme, hybride, de Fumée d’ambre. Un mélange entre geste vidéo et théâtralité avec une seconde partie qui se tient en présence live de certains protagonistes de la pièce. Ceci en repensant la rencontre zoom originelle entre plusieurs témoins et protagonistes de la société civile de Beyrouth. A l’écran, un businessman ayant son activité dans le port de Beyrouth et son épouse, un activiste politique, une domestique asiatique, une pompière et un ouvrier syrien travaillant aussi dans le port de la capitale libanaise.

Incarnée par une comédienne renommée tant au théâtre que sur les planches, Bernadette Houdeib, c’est aussi une militante et activiste sociale parmi d’autres protagonistes. Elle use de tous les clichés et slogans creux possibles, Beyrouth en devenant le phœnix qui renaîtra de ses cendres, une image historiquement fortement liée à la culture phénicienne. Certains personnages sont de véritables victimes, d’autres sont incarné.es par des acteurs.trices Pour leurs monologues et récits, nous avons écrits en partant notamment de ma passion précoce pour les mathématiques.

Passant d’une catastrophe à l’autre, cheminant de guerre en guerre, le Liban connait comme d’autres pays en conflit ou touchés par des accidents industriels et drames humanitaires, une forme de levée de fonds avec mise en avant des victimes. 
 

Il s’agit d’un business de dons couronné de succès. Ainsi au lendemain de l’explosion, des personnalités et influenceurs, influenceuses, actrices et acteurs se sont mobilisé.es afin de venir en aide aux victimes. Nombre de ses personnes, dont l’Etat, ont gagné beaucoup d’argent en jouant de la crédulité du public sensibilisé. Ce dernier ne pouvait imaginer que des personnalités médiatiques pourraient prélever une part des dons pour leur propre intérêt.

C’est précisément ce statut de la victime-écran et parfois instrumentalisée à des fins mercantiles que Fumée d’ambre questionne. Jusqu’à le mettre en crise. En témoigne un survivant de cette tragédie industrielle. Il refuse de se considérer comme victime. Et décline toute participation à une campagne de solidarité caritative telle que l’incarne Beirut Never Dies. Il faut toutefois se rappeler l’urgence de l’époque. Des milliers de familles étaient ainsi sans appartements et toit dans la capitale libanaise.

Assurément. Dès la manifestation de protestation publique du 8 août 2020 rassemblant plusieurs milliers de personnes à Beyrouth, ce fut la quête de vérité et le fait de pointer la classe politique jugée incompétente et corrompue ainsi que le gouvernement comme responsables qui s’imposèrent.

Cette manifestation populaire sur laquelle souffla un vent de révolte fut sévèrement réprimée, ce qu’évoque le spectacle.

Cette famille ne correspond en rien à l’image traditionnelle, consensuelle que l’on peut se faire de victimes supposées toujours démunies, précarisées. Or leur résidence cossue jouxtant le port a été totalement détruite. Le mari a perdu un œil dans ses bureaux portuaires entièrement rasés et son épouse se bat de longue date contre un cancer.

Non sans humour et auto-ironie, ces personnes fortement impactées par l’événement ne ménagent pas leurs efforts pour faire toute la lumière autour de la catastrophe. Leur détermination mérite toute notre attention.

L’ambre libanais passe pour l’un des plus anciens du monde. Outre la résine fossilisée, la langue arabe désigne par le mot ambre, le lieu et dépôt portuaire où le nitrate d’ammonium était stocké, le hangar no12. Pour la fumée, le terme dénomme aussi le parfum d’ambre et une dimension très populaire dans le monde arabe ramenant au cimetière. L’ambre renferme également des insectes ayant plusieurs millions d’années.

L’appellation Fumée d’ambre peut ainsi revêtir de nombreuses significations qui oscillent entre la beauté, la mémoire et la mort.