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Chansons de gestes autour de la mort

Publié le 10.06.2023

Création de théâtre gestuel interrogeant par le filtre d’un humour décalé notre relation et lien avec la fin de toute vie, Partie mortelle est une création à découvrir au Théâtre Le Galpon à Genève, du 22 juin au 2 juillet.

La pièce se présente comme un vaste périple rêvé au cœur des paysages contrastés traversés par la Grande Faucheuse. Des rituels et traditions aux accidents et imprévus quotidiens.

Après notre dépendance multiforme aux smartphones abordée dans la précédente création signée Hèctor Salvador Vicente, Next-Stop, le sujet métaphysique et énigmatique par essence, la mort est passé en autant états de corps surréalistes. Parmi les outils de création, la Compagnie La Temeraria utilise les jeux de cartes du tarot le jeu vidéo, Le Démineur. Rencontre avec le metteur et comédien Hèctor Salvador Vicente.



Comment abordez-vous la mort?

Hèctor Salvador Vicente: Le lien que nous tissons habituellement avec la mort se rapporte beaucoup à une culture de la peur. Dès lors, chacun.e doit bien avancer vers le connu autant que l’inconnu face à cette crainte existentielle. Celle-ci apparait sous différents visages et expressions au gré du voyage marquant le passage de la vie à la mort qu’accomplissent les quatre personnages. S’il nous arrive d’ignorer la mort, elle certainement ne nous ignorera pas. Elle est toujours présente comme une fidèle connaissance.

Au fil des différents tableaux qui composent pièce, nous expérimentons un cycle de transformations. Il va de l’inconnu vers le connu. Et inversement. La matière se spiritualise tandis que l’esprit se matérialise dans un cycle alchimique. Si les protagonistes en scène sont perdus, ils cherchent invariablement une issue, une sortie. Mais existe-elles-vraiment ces portes de sortie? La question reste ouverte bien que la mort puisse se penser comme une fatalité.



Qu’apporte ici votre théâtre de mouvements, un théâtre gestuel sans mots?

Nombre de pièce de théâtre partent de ces thèmes essentiels que sont la mort et la vie, la haine et l’amour. La particularité de notre approche est de les aborder par des gestes stylisés. Le spectacle travaille aussi notre relation à l’espace, les tensions, postures et relations que l’on peut créer et développer entre les interprètes.

La dramaturgie est ainsi intimement liée la manière dont nous bougeons dans l’espace scénique. C’est une manière de faire du théâtre où l’engagement physique des personnages, leurs émotions priment sur le texte qui parfois peut nous perdre.

Cela est-il lié notamment à votre formation et expérience de clown hospitalier pour Hôpiclowns?

Oui. Cette approche d’un théâtre gestuel ramène au personnage tragi-comique du clown. Que l’on songe au grand clown russe Slava Poulin et sa figure mélancolique, poétique et métaphysique qui joue dans une grande simplicité. Ce que nous cherchons ainsi est de susciter imaginaire et émotions chez le public. Ceci en lui laissant la place d’être réellement avec nous.


Il y a ainsi toujours l’essai de travailler dans les images et les émotions pouvant naître d’une situation qui nous confronte à la mort. Souvent avec onirisme et humour, nos personnages sont perdus. Et cherchent à donner du sens à une situation parfois absurde., Ce sont des êtres plongés dans le brouillard en quête de lumière et de clarté. Ceci pour trouver du sens à leur vécu.





Mais encore...

Historiquement, le théâtre de mouvement qui nous est cher est basé sur l’enseignement et la pratique artistique de Jacques Lecoq*, dans la lignée artistique de Jacques Copeau**. Par ce langage théâtral qui a un lien fort avec la danse, la gestualité et l’expression du corps des interprètes font littéralement vivre les personnages et les situations. Ceci sans s’exprimer par la parole.

Quelle est l’atmosphère notamment de la première scène?

Le spectacle débute par une sorte de forme larvaire où l’on ne peut déceler votre forme humaine comme un voyage au cœur d’un espace indécis. C’est notre moment Mummenschanz***. Ceci dit avec beaucoup de respect, car nous ne sommes pas les Mummenschanz.

Il s’agit alors de jouer avec des formes pures en constante métamorphose dans la matière pour rejoindre ce voyage où les personnages se transforment. Ce moment marque le passage d’un état à un autre. Ces personnages viennent d’un Ailleurs, entre l’ici et l’au-delà.

On retrouve épisodiquement les personnages au centre du plateau. Ces êtres cherchent désespérément un chemin tout en revenant invariablement au centre. Ces jeux dans l’espace évoquent naturellement la fatalité de la mort. Mais sans contraindre à une lecture, en demeurant subtil dans les images et impressions, situations et constellations évoquées. Le public est donc laissé complètement libre face à son ressenti.





Votre création a été nourrie de lectures...

Oui. Rites et coutumes autour de la mort se trouvent dans toutes les religions. La plupart d’entre elles évoquent une suite possible après la fin. Ainsi le bouddhisme nous parle de la réincarnation. Dans les fondements de l'accompagnement aux mourants, nous avons trouvé des pistes pour explorer la relation spirituelle entretenue avec la mort dans plusieurs ouvrages: Le
Bardo Thödol (ou Livre tibétain des morts), le Livre des morts des anciens Égyptiens et l’Ars Moriendi chrétien. Au plan philosophique et métaphysique, la mort nous interroge et confronte à plusieurs idées: le néant, l’infini, la transformation, le périssable, l’inconnu, l’inévitable.

Parlez-nous d’une autre scène, Il est notamment question d’une situation où un être n’arrive pas à dépasser ou surmonter une phase de deuil.

A ce titre, la création est souvent alimentée de rituels ou de sources iconographiques du Nord de l’Espagne notamment. Dans la mythologie populaire galicienne, il existe ainsi La Santa Compaña. C’est un récit qui raconte que, la nuit venue, une procession de morts ou âmes en peine errent avec des lanternes. Ils parcourent les chemins des paroisses et les forêts. La Santa Compaña est donc une forme de rituel qui annonce la mort. Si une personne y est confrontée, la mort le visitera bientôt. Un tableau du spectacle s’en inspire avec des personnages perdus. Se réconcilier avec la mort, n’est-ce pas pleinement accepter la vie?

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Partie Mortelle
Du 22 juin au 2 juillet au Théâtre Le Galpon, Genève

Hèctor Salvador Vicente, conception et mise en scène
Avec Serge Koto, Aina Pedros Blat, Miguel Angel Gutierrez Martos, Hèctor Salvador Vicente


Informations, réservations:
https://galpon.ch/spectacle/partie-mortelle


*Acteur, metteur en scène et pédagogue français (1921-1999). Il a exploré de nouvelles voies du théâtre corporelle, parfois avec paroles. Il a beaucoup étudié le personnage du clown et développé une technique du jeu masqué.

** Acteur et metteur en scène français (1879-1949). Il a mis notamment en pratique entraînement corporel, jeu de masques et improvisations. Chez lui, les costumes aux matériaux très étudiés font ressortir les acteurs et les actrices.

*** Troupe suisse ayant plus d’un demi-siècle d’existence, Mummenschanz est célèbre dans le monde entier pour leur théâtre de métamorphoses physiques, surréalistes, poétiques et ludiques parfois très critiques envers la société contemporaine. Cette compagnie a réussi a créé un langage universel. C’est du mime croisé avec le théâtre d’objets, de masques et la marionnette.