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La Manufacture ou l’art de la transmission

Publié le 17.06.2024

À l'occasion du 20e anniversaire de La Manufacture - Haute école des arts de la scène -, le Pavillon ADC de Genève accueille du 20 au 22 juin, les spectacles de fin d'études créés au Théâtre de Vidy et à La Fabrik Postdam (DE).

Ces représentations marquent une étape cruciale pour les étudiant·es, leur offrant une plateforme pour démontrer les compétences acquises durant leur formation.

Côté danse, un programme en deux parties, Empathic Chamber et Al-Monboso. Pour la première, Yasmine Hugonnet, avec sa sensibilité à la mémoire corporelle et culturelle excelle à tisser une belle choralité de postures. En seconde partie, Radouan Mriziga, par son exploration des environnements naturels et leur impact sur l'art se lisant dès l’entrée des artistes depuis les portes de service donnant sur la pelouse extérieure à la création, cisèle une relecture enjouée de constellations folkloriques en cercle.

L’ensemble interroge les relations entre mouvements et récits culturels, corps et actualité proche-orientale notamment.

Parallèlement, les étudiant·es du Bachelor Théâtre, dirigé·es par Fanny de Chaillé, présentent Avignon, une école. Quelle place le mythique Festival tient-il dans la mémoire? La pièce s’ouvre sur l’évocation pertinente d’Einstein on the Beach de Philip Glass monté par Bob Wilson au Théâtre municipal de la cité provençale en juillet 1976. Un opéra à l’action énigmatique, à l’image de ses inoubliables comptes scandés, «one two three four, two three four five six…».

La création revisite les archives festivalières pour interroger les évolutions esthétiques et sociales du théâtre depuis sa création en 1947. À travers la réinterprétation façon tableaux vivants de scènes emblématiques et l'intégration de réflexions contemporaines, les comédien·nes explorent les interactions entre histoire et actualité.

Ce théâtre de la relation vise à établir un dialogue entre les formes théâtrales éprouvées et actuelles, mettant en lumière leur pertinence dans le contexte sociopolitique actuel mis en péril par la montée des extrêmes sur sol européen. Ces réalisations soulignent l'importance de cette Haute école dans la formation artistique en Suisse romande. Entretien avec Frédéric Plazy, directeur de La Manufacture.



Comment le travail de Fanny de Chaillé sur l’archive et le passé refiguré des arts vivants peut-il évoquer ce que le théâtre représente pour La Manufacture?

Frédéric Plazy: S’il est vrai qu’au fil des répétitions, ce spectacle est devenu emblématique des vingt années de la Haute école des arts de la scène, le désir initial était également de travailler avec une grande artiste du théâtre et de la danse fort intéressée à la transmission des œuvres des approches scéniques et de leurs filiations.

La proposition artistique s’est circonscrite autour d’une thématique, ô combien parlante, d’interroger et de réactiver les archives de Festival d’Avignon depuis sa fondation par Jean Vilar en 1947.

Au sein de La Manufacture ce rapport entre l’histoire du théâtre et son devenir est fondamental. Ainsi les étudiant·es sortant de cette école doivent inévitablement se relier aux formes du passé dont ils·elles héritent.



Mais encore...

Transmettre aux étudiant·es qu’ils·elles s’inscrivent dans une lignée des formes scéniques est un axe fort de l’enseignement mis en avant, ce dont témoigne au plus haut point Avignon, une école. Cette nouvelle génération d’artistes se trouve au point de passage dessiné par des codes esthétiques, formes, textes, écritures, mises en scène jeu issus du passé, récent ou non.

Les étudiant.es vont-ils·elles les transformer ici ou s’y inscrire pleinement? Telle est la question et leur choix.

Vingt est-il un chiffre totémique?

Les comédiennes et comédiens qui entouraient Jean Vilar dans les années 40 avaient effectivement la vingtaine. De même, les promotions de La Manufacture au plateau avec ce spectacle, ont autour de vingt ans aujourd’hui.

Les personnes qui postulent pour cette école comme pour d’autres ont donc à peine la vingtaine. Elles ont au préalable suivi un cursus d’ateliers amateurs, semi-professionnels ou préparatoires. Cela sans avoir pu conscientiser en profondeur cette nécessité de dédier leur carrière professionnelle à la pratique artistique.

Durant les trois ans dédiés à la formation, l’école sera le catalyseur de cette nécessité. Cette conscience d’un acte théâtral ou chorégraphique s’inscrivant pleinement dans une histoire des pratiques scéniques se poursuivra bien après les années d’études.





Dans sa note d’intention pour Avignon, une école, Fanny de Chaillé avance que «le théâtre n’est pas là uniquement pour rassembler, il est aussi là, et surtout là, pour diviser, pour ouvrir une réflexion et un débat.».

Le théâtre divise précisément parce qu’il rassemble. Lorsque le metteur en scène, dramaturge et actuel directeur du Festival d’Avignon est venu travailler les étudiant·es en 2008 pour la création de Ça ne se passe jamais comme prévu, il leur avait confier en substance qu’il fallait s’accorder sur le fait que l’on ne sera pas d’accord.

C’est sur cette base que se travaille chaque création artistique.

Partant, le théâtre rassemble autant qu’il divise. Une présentation des arts vivants de type œcuménique et consensuelle n’est dès lors guère souhaitable. Par essence et nature, le théâtre fait se poser des questions ensemble. En fait, le débat a réellement lieu lors du processus de création. Entre les étudiant·es et l’équipe artistique.

Et ce même débat advient forcément avec le public qui ne se révèle jamais consensuel. De manière implicite ou explicite.





Comment se présente la filière danse?

Elle existe depuis une décennie à la Manufacture et est aujourd’hui indissociable de l’identité de l’école. Cette filière, qui fut la première dans le domaine des arts chorégraphiques dans ce pays, a considérablement enrichit le paysage professionnel des arts scéniques en Suisse romande.

La danse contemporaine est multiple, se nourrissant elle aussi de filiations extrêmement variées. Elles passent des danses urbaines aux formes performatives voire épisodiquement proches de l’acrobatie ou des arts circassiens.

Ne transitent-elles pas aussi par les danses traditionnelles, ce que traduit au mieux le spectacle signé Radouan Mriziga, Al-Momboso? Ou par des constellations plus formelles, sculpturales et stylisées chez la chorégraphe Yasmine Hugonnet pour son Empathic Chamber.

Quelle est l’idée principale de cette filière?

En compagnie du chorégraphe et danseur suisse Thomas Hauert accompagné du danseur, responsable académique Gabriel Schenker, le dessein essentiel de la filière est de transmettre tout un éventail de techniques, pratiques et approches de la danse contemporaine.

Mais aussi de déhiérarchiser autant les disciplines, les techniques et les approches du mouvement. Qu’elles soient formelles, traditionnelles, urbaines, extrêmement techniques ou plus libres, ces disciplines sont donc placées au même niveau. Les étudiant·es pourront suite développer cette curiosité générale. Voici l’éthique de filière danse.

C’est singulièrement cette mise en regard de façons contrastées de penser la danse contemporaine. Ce dont témoigne le programme bifide formé d’Empathic Chamber et Al-Momboso.

Propos recueillis par Paul Siméon



Les 20 ans de la Manufacture.
Du 20 au 22 juin au Pavillon ADC, Genève

Avec les Etudiant-e-s de BA Danse et de BA Théâtre de la Manufacture

Programme:
Jeudi 20 juin. Soiré danse
20h00, Al-Monboso, Radouan Mriziga Empathic Chamber, Yasmine Hugonnet

Vendredi 21 juin, Soirée Théâtre
20h00, Avignon, une école, Fanny de Chaillé

Samedi 22 juin, Soirée Danse & Théâtre
18h00,  Al-Monboso, Radouan Mriziga Empathic Chamber, Yasmine Hugonnet
20h30,  Avignon, une école, Fanny de Chaillé


Informations, réservations:
https://pavillon-adc.ch/spectacle/les-20-ans-de-la-manufacture



Avignon, une école, Fanny de Chaillé est programmé au Festival IN du Festival d'Avignon, du 10 au 12 juillet (Cloître des Célestins). Plus d'infos:
https://festival-avignon.com/fr/edition-2024/programmation/avignon-une-ecole-348556

La programmation du Festival IN compte aussi une artiste suisso-espagnole résidant à Genève, la chorégraphe La Ribot pour une création avec Asier PugaLoriente Juana ficción, du 3 au 7 juillet 2024, Cloître des Célestins