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Plus géniale la vie en prise directe

Publié le 04.07.2022

A l’affiche du Théâtre de l’Orangerie du 12 au 16 juillet, Toutes les choses géniales de Duncan Macmillan piste le ressenti d’un enfant face à la dépression et au suicide de sa mère. Pour reprendre pied, l’abandonné, se sachant faible et fort, fait l’inventaire de manifestations et réalités aussi oubliées que quotidiennes: l’odeur des vieux livres, la couleur jaune, les glaces, se rabibocher après une dispute…
Toutes choses qui semblent avoir la qualité de rendre plus géniale la vie. Cet inventaire un brin surréaliste à la Prévert, voire inspirée par un Perec, est là pour restituer ce souffle vital qui circule, le mouvent qui relie.


A l’heure des effondrements climatiques, d’une guerre d’attrition sur sol européen et de la crise corona multiforme, vous haussez les épaules. Raison d’avoir tort, vous avez. Pouvoir dire oui à la vie, c’est surtout la partager avec le public non sans un humour tonifiant.


Dans une perspective développée depuis les terres de l’enfance, vous serez donc possiblement vétérinaire devant ensommeiller définitivement un cador. Ou comment vivre épisodiquement d’autres vie, pertes et deuils avec la sensibilité singulière à chacun. La tragi-comédie de toute existence recèle une histoire énigmatique et pleine d’espérance: ce spectacle part à leur recherche. Entre funèbre joyeux et mise en jeu du plus commun et intime.
Rencontre avec Arnaud Anckaert, homme de théâtre qui accompagne plutôt que met en scène le narrateur campé par Didier Cousin.


Vous avez créé Toutes les choses géniales de Duncan Macmillan, après avoir monté Séisme du même auteur. Qu’est-ce qui vous attire dans cette écriture?

Arnaud Anckaert: Un projet en amenant un autre, j’avais choisi de porter à la scène Séisme, l’histoire d’un duo qui veut s’engager résolument pour la planète et vis-à-vis de la vie. Ce couple se pose de multiples questions insolubles relativement au monde dans lequel nous (sur)vivons. En effet, la question du futur et surtout de mettre au monde un enfant n’est-elle pas fortement angoissante pour des jeunes gens aujourd’hui?

Un ami, le comédien Didier Cousin, en avait réalisé une lecture lors du Festival Prise directe organisé par Capucine Lange avec l’envie de poursuivre. Ce texte parle d’ailleurs moins du suicide que de la manière dont un enfant se construit tout en ayant une mère absente manifestant son désir de mourir.



La première scène ouvre sur l’euthanasie d’un chien…

Le narrateur de l’histoire raconte alors sa première expérience avec la mort. Et partant sa rencontre avec la finitude qui est un choc. La question du produit utilisé, le pentobarbital, est ici secondaire. Au cœur du spectacle, se trouve la découverte par un enfant de la complexité de vivre solitaire à un âge où l’on a précisément besoin de ses parents. Pour abréger les souffrances d’un chien malade, le vétérinaire intervient sur l’animal en l’euthanasiant. Cet acte auquel un spectateur est convié à participer est ainsi dépeint dans la pièce: «C’était ça, mon expérience de la mort. Un être aimé, qui devient un objet».

La dimension participative à laquelle est convié le public est essentiel dans ce théâtre.

Si le texte a été co-écrit par un comédien, il s’agit initialement d’une quasi-installation plasticienne. Les deux artistes ont ainsi construit le spectacle avec le public. Ce dernier est intégré au cœur d’une création issue de l’univers scénique anglo-saxon. La question de l’entertainment y est centrale. En l’occurrence, les Anglais sont capables de créer des pièces profondes tout en maintenant intact le souci de l’adresse au public et celui de divertir.





Mais encore…

C’est ce souci d’imaginer des pièces au contenu parfois très dur en gardant à l’esprit une envie de légèreté permettant d’avoir une perspective dans la vie. Ce qui est tout à leur honneur. Le défi dramaturgique et de mise en jeu pour le comédien? Les réactions du public sont intégrées sur le vif de la représentation. L’acteur Didier Cousin essaie, dans cette veine, de retrouver la fraîcheur et la spontanéité d’être en capacité d’improviser en fonction des réactions d’un spectateur intégré dans le jeu. D’où une bienveillance à trouver de la part du comédien.

Ceci fait qu’à aucun moment le spectateur ne peut se trouver pris en otage dans ce dispositif. Bien au contraire, il a l’impression de participer à l’histoire, si ce n’est aider à la raconter. Cela donne aussi un côté ludique à la pièce.

Il existe une liste de choses dites géniales…

Dès le départ, le projet du narrateur est de faire la liste d’un million de choses géniales. Or, à mesure qu’il va grandir, vieillir, mûrir et prendre connaissance de sa vie et son héritage familial, le narrateur va s’accrocher à cette liste. La pièce, Toutes les choses géniales, est l’histoire de la construction de cette liste. Cette dernière est précisément l’histoire de ce petit garçon devenant adulte et celle de sa résilience.

La dimension de récit de formation attachée à la pièce n’empêche toutefois nullement la difficulté de vivre aux côtés d’une mère suicidaire et psychiquement malade. La liste que l’on peut croiser sous d’autres formes chez Molière, Georges Perec, Valère Novarina et l’anthropologue, ethnologue et féministe Françoise Héritier lui permet de s’accrocher à la vie. C’est un exercice quasi thérapeutique pour le narrateur.

Sur l’importance de la colonne sonore allant de Cab Calloway à Gilbert Bécaud en cheminant par Billie Holliday.

Le personnage du narrateur est fan de disques vinyles et musique. La figure paternelle subissant aussi les tourments de la mère, la musique fait résolument partie des choses géniales et de la relation qu’a le narrateur à son père à écouter des disques. De fait, Calloway et Holliday notamment font partie de l’univers du père du narrateur. Qui a l’habitude de s’enfermer dans sa chambre pour écouter des disques à travers un rituel qu’il partage avec son fils.






Le dispositif scénique découvre le comédien narrateur entouré du public.

Didier Cousin demande de l’aide au public afin de rejouer rôles et relations, dans une forme parfois psychodramatique qui a l’art de rester puissamment ludique. Avertis, les spectateurs sont dans un consentement face à cette forme qui les intègrent. Ils sont donc loin d’être pris par surprise inopinément.

Lorsque l’on entend, «Tu t’es enfilé l’équivalent de trois semaines d’antidépresseurs… Si tu veux te suicider jette-toi d’un pont», où est-on?

Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit des paroles d’un adolescent excédé s’adressant à sa mère. C’est un être en rébellion contre la situation psychique et la maladie de cette femme. L’adolescence n’est-elle pas parfois le temps où la langue peut dérailler? À ce moment de son récit, le narrateur est pris d’un ras-le-bol, possiblement compréhensible au demeurant.

Lorsque l’envie d’en finir avec soi est récurrente chez un proche, les ondes de choc impactent à des degrés divers les proches. C’est une forme d’électrochoc à destination de la mère. En termes de confidences poignantes et épisodiquement crûes, les retours sur soi des spectateurs concernant le suicide ont été d’une étonnante richesse au fil des tournées du spectacle.

Au Festival off d’Avignon 2022, vous montez un huis clos, Together, de Dennis Kelly qui écrit pour le théâtre, la télévision et le cinéma.

J’avais déjà été le premier à monter en France Orphelins de cet écrivain britannique qui est celui par excellence de l’enfermement – la pièce en forme de thriller psychologique interroge les relations de pouvoir au sein de la famille, Festival off d’Avignon 2013, ndr. Together voit un couple en crise contraint à cohabiter sous confinement dans l’Angleterre de Boris Johnson. Seul leur fils semble encore les réunir. Les salles de théâtre étant à l’époque fermées, la pièce est devenue un film tourné en dix jours par Stephen Daldry (Billy Elliot, The Hours). Le réalisateur a souhaité la présence de l’auteur durant le tournage.

Cet écrit a tout d’une pièce de théâtre se caractérisant par un rapport d’une grande proximité avec le public dans le dispositif scénique – la sincérité des dialogues est renforcée dans le film par le choix de faire parler les interprètes comme si les personnages prenaient épisodiquement à témoins les spectateurs en s’adressant à eux, les yeux dans les yeux, ndr.

En adaptant la pièce avec l’autorisation de son auteur, je précise qu’elle n’est in fine guère le film. Ceci notamment dans le fait que le long métrage est lié à la politique anglaise – Brexit, opposition entre sensibilité conservatrice et travailliste; l’homme travaille dans le secteur privé de la libre entreprise et fait faillite sous lockdown, la femme œuvre au sein d’un système d’aide sociale fragilisé, ndr. J’ai surtout basé le travail dramaturgique autour de la mère de la femme du couple, un deuil impossible.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet


Toutes les Choses Géniales
,
de Duncan Macmillan

Arnaud Anckaert, mise en scène
Avec Didier Cousin

Du 12 au16  juillet au Théâtre de l'Orangerie, Genève

Informations, réservations:
https://www.theatreorangerie.ch/events/toutes_les_choses_geniales