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Boris Vian s’éclate au bord de l’Arve. Encore!!!

Publié le 18.05.2022

Le Théâtre du Loup reprend pour la deuxième fois On n'est pas là pour se fair engueuler, un Cabaret Boris Vian que le monde entier envie à Genève. Du 20 mai au 4 juin, les chansons les plus connues et les pépites les mieux gardées sont donc interprétées dans la joie et la bonne humeur le plus souvent, la tendresse aussi, et le désespoir lorsque le texte et la musique s’y prêtent. Concepteur et metteur en scène heureux de ce Cabaret à succès, Eric Jeanmonod redit le bonheur du papa d’un spectacle musical qui apporte de la joie. Au rayon des demi-scoops, il admet ne pas aimer tout Vian, et notamment son oeuvre théâtrale, ce qui ne l’empêcherait pas de revenir un jour à cet auteur. Mais pour On n'est pas là pour se faire engueuler, c’est la dernière. Parole d’homme de théâtre.


C’est la deuxième reprise de votre hommage aux chansons de Boris Vian. Selon la formule consacrée, «à a la demande générale»?


Eric Jeanmonond. Et pour le plaisir. Mais c’est vrai qu’on me demandait régulièrement si nous allions remonter ce spectacle. Il y a ceux qui l’ont vu deux fois et qui vont revenir - j’en connais! - et puis il y a ceux qui ont en entendu parler et qui ne l’on jamais vu. Il faut se rappeler qu’à Genève, même en jouant deux semaines et demie, on ne touche finalement pas grand monde.

Le répertoire de Boris Vian, son esprit, ferait-il l’unanimité? Est-il aussi populaire auprès des jeunes générations?

Chaque fois qu’il était au programme, j’ai fait le test lors de la présentation de saison, demandant si il y avait dans la salle quelqu’un qui n’avait jamais entendu une chanson de Boris Vian. Une à deux mains se lèvent, c’est très peu.

Fait-il l’unanimité? Pour l’anecdote.j’ai rencontré récemment quelqu’un qui déteste Boris Vian. Quand elle m’a dit ça, je suis pratiquement tombé de ma chaise. Mais je crois que son avis reposait sur des romans. Moi même, j'ai de la peine avec J’irai cracher sur vos tombes. J’ai beau comprendre qu’il fait du racisme à l’envers, qu’il joue avec les codes du roman noir, mais cela va trop loin pour moi, je ne peux pas le suivre.



Est-ce que le spectacle et le répertoire ont changé depuis la création?

Non, je dirais qu’il se peaufine. J’ai déjà pu le vérifier entre les deux premières séries de représentations. Il y avait plus de finesse, cela se vérifiait par exemple dans l’interprétation des textes. Les chanteurs font en sorte que le texte soit mieux compris. Non qu’ils aient des problème d’élocution, mais le français n’est pas une langue qui se chante, c’est une langue qui se parle.


Par exemple dans 
La Java des bombes atomiques, avec une phrase comme «Mon oncle un fameux bricoleur», si on ne fait pas très attention, le public risque d’entendre « mononc» et de passer à côté. Selon moi la langue française ne se prête pas à un phrasé pop, il y a des éléments narratifs qui ne sont pas facile à faire passer.

Comment expliquez-vous la réussite et le succès rencontrés par ce spectacle musical?

Il y a une équipe de musiciens qui savent tout faire - et même parfois prenne un petit peu de liberté avec les arrangements d’origine. J’insiste pour les présenter. Il y a d’’abord Simon Aeschimann, qui est au Loup depuis l’âge de 4 ans et demi! Depuis qu’il est grand, il participe à un spectacle tous les trois ou quatre ans et davantage si on comptabilise ses participations avec d'autres compagnies. Ensuite il y a le percussionniste Sylvain Fournier, avec lequel j’avais aussi déjà travaillé avec un immense plaisir. 


Au chant, nous avons Céline Frey alias Lynn m (du groupe Elvett, ndr). Elle a une voix extraordinaire, J’avais dû d’abord la convaincre car elle n’avait jamais chanté en français. Pour le deuxième chanteur, j’ai été du côté de l’AMR où j’ai fait la connaissance d’Ernie Odoom, qui vient d’Ecosse, et qui est absolument extraordinaire dans le registre de crooner, par exemple dans Je bois

 Et à la contrebasse, Simon m’a présenté Jocelyne Rudasigwa, musicienne d’origine rwandaise, qui chante aussi. En fait, ils se produisent dans toutes les configurations, et tous chantent.

Le sixième, c’est le barman du Loup, Philippe Raphoz, qui fait tous les personnages annexes - c’est un comédien amateur dans le bon sens du terme, il adore ça.





Le concert nous projette-t-il en 1958?


Non. Je crois qu’il n’y a qu’une chanson qui respecte le canon classique de la chanson française de l’époque - un pied sur une chaise et guitare, c’est Le Déserteur, chanté par la voix fragile de Sylvain Fournier. Vu ce qui se passe actuellement dans l’Est de l’Europe, je pense que cela va résonner de manière particulière.


Finalement, vous proposez un tour de chant.

Le terme de cabaret convient mieux. Parfois on enchaîne directement, parfois il y a des images d’archives qui sont projetées sur un écran, parfois il y a une petite introduction, un peu de mapping, un mur de 45 tours qui réserve des surprises, et même une petite mise en scène pour La Java des Bombes atomiques - je précise qu’elle est sans danger, même pour les spectateurs des premiers rangs!!! C'est un concert aussi: rappelons que musicalement on a affaire à de sacrées pointures.

Dans la présentation du spectacle, vous évoquez un corpus de 535 chansons. Vous pourriez créer un spectacle original par an pendant un quart de siècle!



Vian a été prolifique. J’ai lu qu’il avait composé plus de 90 titres en 1958 - en comptant les chansons qu'il a fait avec Henri Salvador. Mais disons que s'il y en a déjà 100 de bonnes, c’est exceptionnel!

Pour le spectacle, je dirais qu’il y en a 10 parmi les plus populaires, 5 connues des amateurs véritables, et 5 que peu ont déjà entendues. Je pense notamment à La Rue Watt, en hommage à son ami Raymond Queneau (qui l’avait soutenu au début de sa carrière littéraire, ndr). C’est une rue parisienne qui remonte à ses deux extrémités. C’est une très belle chanson, il y a beaucoup d'atmosphère - et il fait rimer Watt avec tomate!





Avez-vous été tenté de chercher un fil narratif?

Non, derrière la série de chansons qui se suivent sur scène, il y a Boris Vian, le portrait d’un auteur, souvent drôle, excentrique, mais aussi parfois horriblement triste - je pense à 
Je bois.
Le fil rouge, c’est l’esprit de Vian.

Essayez-vous de re-créer, ou en tout cas de rendre hommage aux années Vian, aux années 50?

C’est ma jeunesse. J’étais enfant, mais j’ai des souvenirs d’être au fond de la voiture familiale, tard le soir, et d’apercevoir des espèces de Zazous. Ça me fascinait déjà.
 
Sur scène, cela transparaît dans les costumes des artistes. Le bar - dont je suis très fier - est aussi typique de ces années-là. Donc oui, il y a un petit côté reconstitutions, avec des micros d’époque, mais avec des clins d’oeil à la période contemporaine.

Vous assumez un rôle de passeur.

Oui. Et j’ajoute que je ne suis jamais aussi bien que quand j’ai une matière première que j’adore - comme c’était déjà le cas avec Jimmy The Kid, d’après Donald Westlake. Ça me porte. Un spectacle prend deux ans. C’est donc préférable d’avoir un lien fort avec l’auteur.

Et reprendre une pièce de Boris Vian?


Je suis moins fan. Mais il a écrit une comédie musicale, Lily Strada, d’après Aristophane. Dans le contexte d’une guerre, les femmes décident de faire la grève de l’amour pour mettre un terme aux combats. Vian avait prévu d’en faire une version parisienne, dans un climat de lutte entre bandes rivales…. Il n’en a fait que le synopsis - cinq lignes par scène. Plus les dialogues de la première . Donc ce serait un gros boulot… Il avait aussi composé un petit opéra, Fiesta. Un réfugié arrive en barque dans un petit port de pêche. Tout le monde veut l’aider, une fête est organisée, ensuite ça dégénère…
Il y a donc des projets. Mais le problème, c’est le temps!



Propos recueillis par Vincent Borcard


On n'est pas là pour se faire engueuler - cabaret Boris Vian

Du 20 mai au 4 juin au Théâtre du Loup, Genève

Alain Jeanmonod, mise en scène - Cie du Théâtre du Loup

Avec Céline Frey alias Lyn m (voix, sampler), Jocelyne Rudasigwa (contrebasse, balalaïka basse, ukulélé, voix), Simon Aeschimann (voix, guitares, banjo), Sylvain Fournier (percussions, mandoline, ukulélé, voix), Ernie Odoom (voix, saxophone), Philippe Raphoz (divers personnages)

Informations, réservations:
https://theatreduloup.ch/spectacle/on-n-est-pas-la-pour-se-faire-engueuler-2022/