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Fabuleux périple aux paysages multiples

Publié le 17.09.2021

Le chorégraphe Edouard Hue signe Yumé, création tout public inspirée de contes japonais pour enfants. A découvrir du 25 au 26 septembre à la Salle des Fêtes du Lignon. Sa danse joue subtilement de la fluidité des lignes de corps énergiques de Yurié Tsugawa. Alliant virtuosité et espièglerie, la danseuse vue chez Angelin Preljocaj, incarne une jeune fille sur le sentier poétique et onirique de l’initiation et de la réconciliation. Avec elle et le monde. Non sans art et magie, l’héroïne est secondée dans la quête de son ombre par les Kuroko, figures venues du théâtre traditionnel nippon. Ces ombres sont promptes à faire surgir créatures et décors tour à tour familiers et fantastiques. Rencontre avec Edouard Hue.

Prix Suisse de Danse 2019 vous désignant «danseur exceptionnel», vous avez imaginé entre abstraction et narration une fable qui s’origine dans l’animation japonaise.

Edouard Hue: L’idée puise aux films d’animation du Studio Ghibli développant des réalisations aux multiples niveaux de lectures. Cofondé par Hayao Miyazaki et Isao Takahata, il produit des longs et courts-métrages d'animation notamment. Ce studio est reconnu et multiprimé pour des réalisations comme Le Voyage de Chihiro et Le Château ambulant par Miyazaki et Le Tombeau des lucioles dû à Takahata. J’avais envie de me plonger profondément dans la culture japonaise en m’inspirant d’une autre production nettement moins connue en Occident du Studio Ghibli, les contes visionnaires imaginés par Nihon Mukachi Banashi. Une singulière série d’anime - dessins animés japonais - composée de trois fables d’une poignée de minutes.



Que raconte Yumé?


Partie à la recherche de son ombre qu’on lui a subtilisée, l’héroïne se retrouve immergée dans des paysages changeants et pluriels, traversant une multitude de mondes, y rencontrant des créatures tour à tour amies et légèrement plus hostiles. Au cœur d’une histoire sans paroles, elle croise des êtres mystérieux. Pour un voyage qui la mène des nuages au fin fond des océans.
Elle découvre ainsi des sites surnaturels, merveilleux, qui subvertissent les lois de la nature. Il s’agit d’aimer partir à l’aventure, prendre ce risque de l’ailleurs chez une héroïne qui créée son histoire par les choix qu’elle réalise.

Et concrètement.

La création se déploie dans une grande économie de moyens. A l’image de son titre japonais signifiant «rêve», la pièce met en scène et en mouvements des univers traversés de forêts stylisées et créatures fantastiques que j’ai souhaité transcrire au plateau. Ceci grâce à la costumière Sigolène Pétey pour des habits de scène conçus à la manière paysages se transformant et évoquant des éléments de la nature.
Elle a notamment collaboré avec le circassien Yoann Bourgeois (Histoire naturelle, Celui qui tombe, Iso No Ue…) et le chorégraphe de renom Rachid Ouramdamne pour Franchir la nuit (2018) réalisé entre autres avec de jeunes migrants.

Parlez-nous de cet univers hybride.

A l’instar des récits de l’écrivain Haruki Murakami, le quotidien se décale et dérive vers l’onirique et le fantastique tout en sachant demeurer réaliste. J’ai été marqué par la lecture de Kafka sur le rivage, racontant la fugue d’un jeune adolescent. Pour Yumé, le voyage est autant géographique qu’intérieur, à la lisière du réalisme et du songe. Ce qui m’a séduit dans l’écriture de Murakami, au-delà de son imaginaire foisonnant, c’est la manière avec de glisser à la surface des choses pour simplement nous révéler la profondeur du monde. C’est cette dimension de porte ouverte sur un univers parallèle que l’on retrouve dans Yumé.

Sur le choix de Yurié Tsugawa comme danseuse.

Cette interprète d’exception a accompagné le chorégraphe Angelin Preljocaj, dont elle a intégré la compagnie en 2009, souvent dans des rôles titres jusqu’à La Fresque de 2017 (conte oriental voyant un homme tombé amoureux d’une femme représentée sur une fresque et modèle de composition chorégraphique, ndlr). Elle excelle dans les figures poétiques et fortes, mêlant fragilité et puissance naturelles. Et collabore avec moi notamment au détour de Molten (2019) et ses corps métamorphosés en entités de pures énergies.






Il existe un rapport au livre…

Une scène révèle l’héroïne lisant un livre debout. Cela vient de mon goût pour l’écriture des mangas. Ils sont fascinants dans le fait de se plonger dans leur lecture inversée empreinte d’une belle simplicité dans le dessin. C’est à travers les actes de ses héros et héroïnes qu’est exprimé le thème d’une œuvre, un thème que les lecteurs captent grâce à la sympathie qu’ils vouent aux personnages. Au contraire de la bande dessinée européenne, la narration japonaise est plus rapide, mais encore éclatée en divers points de vue. D’où la nécessité d’une saisie immédiate des sentiments éprouvés par le personnage principal comme c’est le cas dans Yumé

Comment est née la chorégraphie du spectacle après vos pièces Me me halfway, Molten, Shiver et votre solo Forward?

Elle a d’abord été construite et architecturée en fonction des différentes scénographies créées par les costumes dans un souci de cohérence tant esthétique que dramaturgique et mouvementiste relativement aux univers suscités sur scène. Il n’y a donc pas eu une pensée et écriture chorégraphiques préexistantes aux décors véhiculés par les habits. Cela a radicalement modifié ma manière de créer, réfléchissant d’habitude à travers une sensation, une émotion retranscrite par le corps. Ici, le point de départ est ce qui doit être raconté en termes de fable. Pour parvenir ensuite au corps.

L’opus plonge aussi dans le Kabuki, forme épique du théâtre japonais traditionnel.

Plus précisément dans l’art traditionnel du Kuroko utilisé dans le Kabuki. Le terme «Kuroko» désigne des machinistes vêtus de noir de la tête aux pieds. Ceci pour tendre à l’invisibilité lorsqu’ils assistent les interprètes au plateau. Traditionnellement, les Kuroko ne prennent pas part aux actions sur scène. Ils sont présents, là pour tenir un objet, ici un élément du décor. Et participent à favoriser tout un jeu d’illusions et de magie. Dans quelle veine chorégraphique êtes-vous?
Je m’inscris dans une danse contemporaine éminemment physique et basée sur la sensation et l’émotion. D’où un essai de transcrire la sensation par le corps. Dans ce registre, on peut songer à la Batsheva Dance Compagny d’Ohad Naharin alliant puissance et beauté ou à Akram Kahn et sa danse tourbillonnante à la belle complexité rythmique. Un accent particulier est placé sur le travail des pieds et des mains, les extrémités du corps.

Propos recueillis par Bertrand Tappolet

Yumé
de Edouard Hue et Beaver Dam Company
Les 25 et 26 septembre à la Salle du Lignon, Vernier

Dès 6 ans

Informations, réservations:
+ 41 (0)22 306 07 80
www.vernier.ch/billetterie
culturecom@vernier.ch

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