Une place à interroger et trouver
Il s’agit bien ici de place à trouver et d’intégration. Autant de thèmes inspirés aussi d’une trajectoire familiale d’immigrée et d’une expérience de spectatrice tout en abordant certaines dimensions sociales et politiques. Les actions de Davide-Christelle Sanvee sont parfois discrètes, et parfois voulues participatives. Sa pratique performative se traduit dans des lieux et mêle, non sans humour, des formes singulières d’infiltration, de camouflage et d’absence. Ses créations se déploient sur place le temps des représentions puis disparaissent. Elle cherche à saisir le moment singulier du live. Ses actions performatives et narratives sont étonnantes et par nature éphémères. Elles agitent et interrogent des dimensions architecturales, posturales et comportementales liées aux lieux où l’artiste créée.
Des mises en corps, espaces et situations qui ont séduit. A Paris, New-York, Aarau et Venise en 2021 lors de la Biennale. En 2019, elle décroche le Prix Suisse de la Performance avec sa création Le ich dans nicht qui se déployait à l’Aargauer Kunsthaus. Rencontre avec Davide-Christelle Sanvee revigorant nos expériences d’un lieu dédié à la danse.
Parlez-nous du titre de votre création.
Davide-Christelle Sanvee: Son choix découle des multiples lectures que l’on peut lui donner et que je fait découvrir au fil de la pièce. Lors de mes recherches, j’ai été frappée de la durée d’exploitation restreinte de ce Pavillon de la danse. Je lui souhaitais donc une bien plus longue existence. Il s’agit d’une forme de salut, de toast porté à ce lieu éphémère. L’idée initiale était de partir du site, de la Place Sturm. Qui est désormais «Notre Place».
Dans un second temps, il s’agit naturellement de questionner la réalité de notre positionnement. En d’autres termes, où se situe-t-on précisément et comment trouver notre place à la fois sociale, artistique et comme spectateur au cœur d’un bâtiment. Le spectacle questionne aussi nombre d’expressions et tournures courantes, sous forme de jeux de mots. Que l’on songe au scolaire «Retourne à ta place» ou à l’injonction «Trouve ta place».
Venant des arts visuels et plus précisément de la performance, j’ai voulu déplacer l’espace traditionnellement dévolu au public. Dans ce souci de déconstruire un dispositif de frontalité, je propose un spectacle déambulatoire avec une scène dispersante loin du rapport de face à face scène-salle.
Plutôt que d’être entourée de personnes dans une contemplation passive, j’apprécie de pouvoir réellement vivre, éprouver et faire l’expérience dynamique d’un espace partagé au fil d’une représentation. Il s’agit de l’ancrer au plus près de l’instant présent, quitte à presque se toucher.
L’arrivée dans le foyer du Pavillon est scandée par des maquettes de l’édifice que j’ai réalisées en différents matériaux avec l’aide d’Aurélien Reymond. Avec un apéritif disposé sur l’une des maquettes, c’est l’idée de convivialité et d’accueil qui domine. Je pousse ainsi à la rencontre avec le public de différentes manières.
Dans une seconde partie, nous nous rendons dans la salle. Plutôt que d’occuper le gradin, le public partage le plateau avec moi. Il s’agit dès lors d’investir, de questionner et de gérer un espace ensemble. Il y aura une partie autobiographique, la Place Sturm se trouvant dans le quartier je suis arrivée avec ma famille. Mais c’est à travers mon corps que se transmettra le résultat de mon parcours d’intégration. Cette création mêle ainsi danse, architecture, récit et poésie
Comment se présente encore À notre place?
Plus de la moitié du spectacle est dévolue à la danse que je travaille sur un mode énergique proche des danses tel le krump (danse d’une grande physicalité et rapidité née à Los Angeles et permettant aux jeunes de canaliser colère et agressivité sur un mode non-violent, ndr). Ceci alors que d’habitude je convoque plutôt la parole et l’action performative dans mes créations.
À notre place reste un mouvement en plusieurs étapes. Pour prendre la séquence avec les quatre maquettes exposées, elle permet de voir le bâtiment en différentes physicalités. Et dans des tailles, échelles favorisant la prise de recul. Cela permet au public de s’ancrer sur un point précis. Habitée d’une vidéo, l’une de ces maquettes est semblable à une ruine. Soit la projection du Pavillon dans son futur terminal. Ce dispositif me permet aussi de commenter une partie des vifs débats qu’a suscité cet édifice en optant pour l’humour et un ton volontiers décalé.
Oui. Le parcours qui a mené à la réalisation du Pavillon pour la danse, j’ai souhaité le mettre en parallèle avec mon propre parcours d’immigrée cherchant sa place dans un pays qui, lui-même, cherche à s’ancrer dans un territoire. Il s’agit de donner à un lieu une personnalité. Cela en faisant parler les objets ouvrant sur un nouvel imaginaire.
À sa vision, ce Pavillon me fait songer à un ancien poste de TV juste posé là sans fondations, voire déplaçable. Abordant souvent les regards que l’on se porte mutuellement dans la rue ou un lieu dans mes spectacles, il m’a semblé pertinent de convier cette dimension dans la pièce. Ceci tout en donnant accès à mes recherches plus théoriques sur ce Pavillon, dont je retiens un combat, une foi et une espérance pour ce bâtiment dédié à la danse. J’en suis admirative.
À notre Place
Du 16 au 18 septembre 2022 au Pavillon ADC
Informations, réservations:
https://pavillon-adc.ch/spectacle/davide-christelle-sanvee-2022/
Davide-Christelle Sanvee, concept, mise en scène et interprétation
Antonin Ivanidze, création vidéo
Chienne de garde, création son
Aurélien Reymond, maquettes
Création 2022 - Dans le cadre de Dance First Think Later, rencontre entre danse et arts visuels, à découvrir du 15 septembre au 9 octobre au Pavillon et au Commun